Véritable icône du 7e art, Issaka Sawadogo continue de glaner les prix dans le monde, faisant de lui l’une des personalités les plus importantes du Burkina Faso. Par ailleurs, il a été en fin du mois dernier, couronné meilleur acteur du prix Martin Dubreuil de l’Union des artistes au 18e Gala Prix Prends ça court du côté du Canada. Dans une interview qu’il nous a accordé, l’homme revient sur cet énième prix de sa carrière, mais aussi sur sa vision pour le cinéma au Burkina Faso.
Infos Culture du Faso (ICF): Dites-nous qui est Issaka Sawadogo ?
Issaka Sawadogo (IS): Merci pour de vous être déplacés. Je suis artiste comédien norvégien d’origine burkinabè; cela parce que je suis resté là bas pendant longtemps. J’ai commencé par le théâtre, et aujourd’hui j’évolue dans le cinéma et bien d’autres domaines culturels comme la danse, la musique; enfin tout ce qui anime la vie culturelle au Burkina Faso.
ICF: Et là vous arborez plusieurs casquettes dans le domaine de la culture, dites-nous comment tout cela commence ?
IS: Tout a commencé comme pour tout bon élève; on s’intéresse aux activités culturelles de l’école. Puis très vite après quelques années, en évoluant à l’école et en allant vers l’université, on voit que la culture pourrait être une profession. En 1987, quand je décide de me lancer dans le théâtre, on en parlait pas comme une profession. C’était beaucoup plus vu comme un passe-temps ou que c’était destiné à des gens qui n’ont rien à faire, qui ont échoué dans la vie. Mais pour nous qui étions dedans, c’était toute autre chose. En fait, tout le monde a une culture et pour ceux qui ont compris intelligemment, s’en ont servi pour se développer, développer leur pays. Avec le Pr Jean Pierre Guingané à l’époque, on s’est proposé comme étant des professionnels de la culture burkinabè, notamment à partir du théâtre. Du coup, nous sommes devenus les premiers professionnels avec inscription « artiste-comédien » sur la carte d’identité burkinabè. Et cela nous a valu également des hauts et des bas en ce sens que lorsqu’on jouait, tout le monde était content; mais après on était vus comme des « ratés », des dangers publics. Quelque part, il y’avait ce couteau à double tranchants sur lequel nous on surfait, mais qu’à cela ne tienne, nous n’avons pas désarmé.
Nous avons continué à travailler professionnellement; on a eu le temps de nous équiper de tous les aspects et éléments qui nous diffèreraient de ce que les gens pensaient des artistes, et qui aussi feraient de nous des artistes respectueux et respectables. Pour dire que c’est un travail permanent et consistant qui m’a emmené à être ce que je suis aujourd’hui.
ICF: En plus d’être dans le théâtre, vous vous forgez dans une carrière au cinéma. Dites-nous comment s’est passé cette ascension ?
ICF: Il faut dire que cela est arrivé systématiquement parce que le théâtre fait partie des arts du spectacle vivant; le cinéma, c’est l’imagerie. Et tout cela fait partie de la famille de la culture mais à des approches et volets différents. Sinon un acteur de théâtre et celui du cinéma ne sont pas aussi éloignés l’un de l’autre . Mais le mieux serait d’être celui du théâtre et de cheminer vers le cinéma et ensuite vers d’autres disciplines. Et la culture va au-delà de l’aspect amusement que l’on lui confère. C’est en réalité une sorte de thérapie. Les artistes sont des gens tellement intelligents en ce sens qu’ils réfléchissent à tout bout de champ. L’artiste tout le temps, étudie l’homme pour comprendre, pour pouvoir être le miroir de la société. C’est pourquoi les États qui ont compris, qui sont des visionnaires, ont posé des jalons pour permettre à la culture d’être vraiment une mère qui dresse beaucoup de personnes, parce que c’est la culture qui développe un pays.
ICF: Vous avez joué dans plusieurs films, notamment à l’extérieur mais aussi au Burkina Faso. Que retenez-vous de ces deux expériences ?
IS: De prime à bord, il faut dire que ce sont des expériences différentes à des milieux différents et dans des contextes assez différents. Mais c’est ça aussi la force de l’artiste, de pouvoir s’adapter selon les contextes, d’être multi-dimensionnel, multi-facette. Aujourd’hui, je peux me retrouver à incarner le rôle d’un président de la république ailleurs, venir au Burkina et incarner le rôle d’un pasteur ou d’un marabout aussi au fin fond dans des cases. Juste dire qu’en tant qu’artiste, on devrait être capable de passer d’un point A un point B. Et ça, c’est un travail qui se fait de façon permanente et constante
ICF: Pour vous qui êtes aguerri dans ce milieu cinématographique, que pensez-vous de celui du Burkina Faso ?
IS: D’abord, il faut éviter de faire l’amalgame. Il n’y a pas de cinéma burkinabè, en ce sens qu’il est universel. Il y a peut-être du cinéma fait au Burkina Faso mais le message essentiel est adressé à tout le monde. C’est de l’art et l’art est conçu pour être universel. Et pour revenir à votre question, le cinéma au Burkina Faso se porte très bien. A cet effet, il y a toujours de nouveaux projets qui se créént, il y a des fonds qui sont entrain d’être octroyés à des artistes pour qu’ils puissent travailler; des artistes également se battent pour rabattre des projets au Burkina Faso en comptant justement sur des financements extérieurs; d’autres vendent leur talent à l’extérieur et reviennent. Tout cela concourt à développer ce secteur au Burkina Faso.
Par contre, ça devrait bouger plus que ça si l’État ou certaines sommités avait une certaine prise de conscience vis-à-vis de l’impact de la culture sur le développement d’une nation. On voit l’exemple de changement dans plusieurs pays voisins qui ont commencé à mettre la culture et ses acteurs en avant. Du reste, notre pays doit se rendre à l’évidence que c’est un investissement utile.
ICF: Quelle est votre vision du secteur cinématographique au Burkina ?
IS: Ma vision du cinéma au Burkina Faso dans les 20 ou 30 années à venir, c’est que l’on travaille à refléter véritablement le titre de la capitale du cinéma africain et par ricochet la culture africaine. Mais c’est surtout une vision personnelle qui va m’amener à faire des investissement personnels avec des partenaires locaux et internationaux. Nous allons poser des actes concrets afin de tendre vers cette indépendance culturelle.
ICF: Quels sont vos projets à court et moyen termes ?
IS: Je pense qu’il n’existe pas de projets à court, moyen ou long termes en ce sens que tout projet est conçu réfléchi et ensuite mis en œuvre. Juste dire que s’il y a un projet, il y a d’abord eu une idée qui a germé quelque part et qui a pris tout son temps et arrivé à un moment donné où on prend activement part au projet, on le traverse, on l’accompagne puis on le quitte après pour le laisser continuer. Donc, y a des projets comme ça que nous sommes entrain de traverser pour essayer d’apporter notre pierre.
Cependant, je peux vous assurer que de maintenant jusqu’en 2030, j’ai de grands projets, non seulement pour le Burkina Faso mais aussi pour l’Afrique et le monde entier. Nous y travaillons et je préfère éviter de rentrer pour l’instant dans les détails.
ICF: Le 29 Avril dernier, vous a été sacré vainqueur du prix Martin Dubreuil du meilleur acteur de l’Union des artistes au 18e Gala Prix Prends ça court au Canada, veuillez-nous en dire plus ?
ICF: J’avais également été surpris comme vous à travers les réseaux sociaux que j’ai été consacré meilleur acteur à ce festival pour mon rôle dans le court-métrage « Ousmane » de Jorge Camarotti sorti en 2021.
Le réalisateur a travaillé sur ce court-métrage pendant environ cinq ans à trouver les idées, regrouper les fonds. Ensuite, il cherchait le comédien qui allait incarner parfaitement le personnage du film. Il m’a dit qu’il y a trois ans avant cela, il a vu un film de moi et il a fixé le personnage sur moi. De ses dires, il écrivait son scénario en pensant à moi; mais en même temps, il se demandait comment il rentrerait en contact avec moi puisqu’on s’était jamais rencontré. Puis vient un jour lors d’une manifestation culturelle dans laquelle il parlait de son projet, il mentionne mon nom et qu’il rêverait de travailler avec moi. C’est comme ça qu’il a fait la rencontre d’une burkinabè qui était là et qui a décidé de le mettre en contact avec moi. Nous avons établi contact et avons commencé à travailler ensemble sur le projet jusqu’à sa réalisation finale. En gros, ça nous a pris un an de travail sur le scénario avant de débuter le tournage. Quand je suis arrivé, c’était une petite équipe; mais je ne suis pas parti étant impressionné par quoique ce soit. Mais j’avais eu le temps de bien travailler le personnage et on l’a tourné en une semaine et voilà le résultat. Ce film représente le Canada au Festival de Cannes, il a raclé plus de 7 prix internationaux. Et voilà, que l’Union des artistes canadiens me décerne ce prix de meilleur acteur à travers ce film.
ICF: Vous avez de nombreux prix à votre actif, qu’est-ce que ce dernier en date représente pour vous ?
IS: Ce prix à l’image des autres, représente beaucoup pour ma carrière. Il n’y a rien de plus grand et de plus rémunérateur que d’être reconnu d’avoir fait du bon boulot. Ce n’est pas une reconnaissance politique. Ce sont des gens que je ne connais ni de près, ni de loin (organisateurs du Festival, l’Union des artistes du Canada et autres). Ils ont juste vu le film; ils ont fait une appréciation du jeu d’acteur; et ont décidé que de tous ceux qui étaient en compétition, j’étais le mieux placé pour remporter ce prix. C’est juste vous dire à quel point c’est extraordinaire d’être sacré acteur à un festival qui réunit tout le Canada. Et c’est le Burkina Faso qui gagne. J’ai même été ravi de voir à quel point cela a enflammé la toile; ça nous a permis d’oublier un tant soit peu la situation difficile que notre pays traverse. Et ça interpelle qui de droit que rien qu’avec la culture, on peut combattre le terrorisme et toutes les formes de vices. Qu’on nous donne juste les moyens qu’il faut pour travailler. Cela dit, ma reconnaissance va à l’endroit de Dieu qui a décidé de me positionner. Et quand je m’y met dans un projet, je me donnes à fond, avec courage et détermination.
ICF: Quel est votre mot de fin ?
IS: Je vous remercie d’être passés. Je demanderais aux Burkinabè de considérer la culture comme le véritable levier de développement, c’est le moyen le plus sûr et rassurant. Investir dans la culture, on gagne à coup sûr. Quelque soit votre projet, si vous utilisez les artistes, vous serez sûr de toucher les cibles en ce sens qu’il est très proche du social et à tous les niveaux de la société. Même quand on suit l’actualité marquée par le terrorisme et la crise sanitaire, la culture à sa part de responsabilité à jouer. La culture interpelle tous les groupes socioculturels burkinabè. Les problèmes que nous rencontrons actuellement, c’est tout à fait normal; toute nation qui doit grandir, doit rencontrer des difficultés. Et tous en tant que Burkinabè, avons le devoir d’aller ensemble main dans la main afin de venir à bout de cette crise.
Interview réalisée par Boukari OUÉDRAOGO