jeu 21 novembre 2024

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CINÉMA: Delphine Yerbanga ou la genèse de l’espoir du cinéma documentaire au Burkina Faso

Auteure de son tout premier long-métrage « Sur les traces d’un migrant », Delphine Yerbanga se positionne aujourd’hui comme une valeur sûr de l’avenir du cinéma documentaire au Burkina Faso. Par ailleurs, ce film a remporté le Grand Prix du Président du Faso à la toute dernière édition de FESPACO en octobre dernier. De retour du Japon où elle a pris part à une résidence d’écriture, Madame Yerbanga nous a accordé une interview. Au cours de ces échanges, elle revenue sur ses premiers pas dans le cinéma, son parcours et bien-sûr sur le bien-fondé de cette résidence d’écriture qu’elle a bénéficié.

Infos Culture du Faso (ICF): Dites-nous qui est Delphine Yerbanga pour nos lecteurs ?
Delphine Yerbanga (DY): Comme vous l’avez déjà dit, je me nomme Delphine Yerbanga. Je suis réalisatrice, et je suis également en service à la Radiodiffusion Télévision Burkinabè (RTB).

ICF: Dites-nous comment est née cette passion pour la réalisation ?
DY: En fait, je ne suis pas arrivée dans la réalisation par hasard en ce sens que quand je revois un peu mon enfance, je me rends compte qu’il y avait déjà les prémisses de cette passion. Déjà toute petite, j’avais l’habitude d’organiser des pièces de théâtre, de la mise en scène à l’église parce que je faisais partie des Cœurs Vaillants et Âmes Vaillantes (CVAV), qui est un mouvement catholique dédié aux enfanx où on leur apprend à jouer, se divertir mais aussi et surtout à prier et avoir des comportements justes et responsables. J’ai grandi dans ce milieu et j’ai continué à accompagner les enfants et il était question pour nous d’organiser des formations lors des camps vacances que nous avions. On nous demandait en son temps de mimer les paroles de Dieu et je n’avais jamais pu être une bonne comédienne, donc j’ai tout le temps fait partie du groupe qui réfléchissait sur la mise en scène, comment est-ce qu’on allait mimer la parole de Dieu. Et qui parle de mise en scène, parle de cinéma. Sans le savoir donc, je me préparais au métier de réalisatrice.

ICF: Comment est-ce que votre histoire avec le métier de la réalisation a véritablement commencé ?
DY: Après mon baccalauréat, j’ai été orientée en Philosophie où j’ai passé quatre ans. En ce moment, il faut préciser que je faisais partie de la Fédération des ciné-clubs, notamment le club Sambène Ousmane du FESPACO. Et c’est là que j’ai eu l’information faisant état de l’ouverture d’un master 1 en Audiovisuel et Documentaire de création à l’Institut de formation en sciences et techniques de l’information de Niamey (IFTIC). J’ai postulé avec ma Licence en Philosophie et j’ai été retenue. C’est en ce moment précis que j’ai pris conscience qu’il fallait poursuivre ma passion d’enfance et d’en faire véritablement un metier.

ICF: Parlez-nous de ce parcours de formation
DY: J’ai été, donc à la suite de cela, au Niger pour suivre la formation. Et étant également là-bas, j’ai postulé pour aller au Sénégal pour faire le master 2 en spécialisation Réalisation documentaire et création. Ainsi, j’ai été à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal), là où j’ai appris réellement à réaliser; manipuler la caméra, utiliser en tous les outils qui permettent de réaliser un film même si à Niamey, j’avais déjà touché à la caméra. Qu’à cela ne tienne, ça permis d’approfondir mes connaissances, apprendre à écrire un projet de film car que ce soit à Niamey où à Saint-Louis, je peux dire qu’on a eu de très bons encadreurs qui nous ont permis de bien apprendre le cinéma. Et il faut préciser que lorsque je partais du Burkina Faso à l’époque, il n’y avait pas encore le documentaire à l’Institut Supérieur de l’image et du son (ISIS). Après donc le Sénégal, j’ai été fait un stage de deux mois à la Fondation européenne des métiers de l’image et du son (FEMIS), qui m’a permis de perfectionner mes connaissances. Dans toutes ces écoles où je suis passé, c’était sanctionné à la fin d’un film de fin d’études (film d’école); ce qui me faisait au total trois films d’écoles.

A la suite de cela, je rentre au pays où je n’avais pas encore de boulot ; donc avec ma Licence, j’ai enseigné la Philosophie pendant cinq ans avant d’avoir la chance d’être retenue à la RTB comme réalisatrice. Ça été une très belle expérience pour moi, vu que cà m’a permis d’avoir une autre vision de la vie.

ICF: Vous êtes auteure du long-métrage documentaire « Sur les traces d’un migrant », c’est quoi l’histoire derrière ce film ?
DY: Pendant que j’étais au Sénégal, on nous avait demandé de travailler sur un projet professionnel et c’est comme ça que j’ai commencé mon projet. Pendant que je faisais ce film d’école, j’ai rencontré deux magnifiques filles sénégalo-burkinabè (Adama et Awa) et qui m’on parlé en wolof, chose que j’avais pas compris. C’est comme ça que mon professeur s’est approché de moi et m’a expliqué qu’elles disaient avoir perdu toute trace de leur géniteur et comme je suis une Burkinabè, ça serait vraiment bien si je pouvais les aider à retrouver sa trace. Deux jours après, nous sommes répartis chez elles, on a posé la caméra pendant une heure du temps et cet entretien nous a permis de savoir qu’elles n’avaient plus aucune trace de leur père et qu’elles venaient également de perdre leur maman, pourtant elles avaient envie de savoir leurs origines. En tant que réalisatrice, je me suis dit qu’il fallait saisir l’occasion et les accompagner avec ma caméra. C’était ainsi que je pouvais les aider, en utilisant ma caméra et mener ensemble des recherches. C’est comme ça que le projet « Sur les traces d’un migrant » a vu le jour.

ICF: Pourquoi le choix de ce titre ?
DY: Au départ, le titre était « Sur les traces du père » en ce sens que ce sont des jumelles qui étaient à la recherche de leur père. Par la suite, j’ai fait la connaissance du petit frère de leur père qui également écrivait un livre sur la vie de son frère « disparu ». Et quand je fais sa connaissance, je décide de l’inclure comme l’un des personnages principaux du film. Il se nomme Idrissa Ouédraogo. C’est ensemble qu’on a fait le film: lui avec son manuscrit et moi avec mon projet de film. Je l’amène de son village natal sis à Ouahigouya jusqu’au Sénégal où il rencontre les jumelles, et ensemble, nous sommes allés sur les traces d’Abdoulaye (le père des jumelles) qui était un migrant passé par la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Guinée Bissau d’où le changement du titre en « Sur les traces d’un migrant ».

ICF: Que ressentez-vous d’avoir pu aider ces filles à retrouver la famille de leur géniteur ?
DY: C’est un sentiment de joie et de fierté qui m’anime en ce sens que c’est un défi que je voulais de tout cœur relever. Il y a des moments où j’ai pitché mon projet à des laboratoires de développement et ils m’ont dit que le projet n’était pas net. Je remercie de ce fait l’ambassade du Burkina Faso au Sénégal qui a joué un grand rôle dans la collecte des informations. Personnellement, j’ai gardé de bonnes relations avec ces jumelles. Elles sont aujourd’hui satisfaites d’avoir pu retrouver leur famille. Et au-delà des jumelles, ce projet a été bénéfique pour la famille en ce sens qu’il leur a permis de pouvoir afin faire le deuil de Abdoulaye qui en réalité est décédé et enterré en Guinée Bissau, et de tourner maintenant la page.

ICF: Qu’est-ce-que cela représente pour vous de voir ce film remporter le Grand Prix du Président du Faso à la dernière édition du FESPACO ?
DY: C’était ma première participation en tant que réalisatrice qui a son film en compétition à un festival. Je ne m’y attendais donc pas. Du reste, je le perçois comme un bonus. Mais ce prix vient montrer qu’il y a un travail qui est fait est qui est fort apprécié. Je ne peux qu’être comblée.

ICF: Lors de l’édition 2022 de Koudougou Doc, il a été dit que la grande première du film est prévue en juillet 2022, cette date tient-elle toujours ?
DY: Effectivement, c’était prévu qu’elle se fasse dans ce mois de juillet à Durban en Afrique du Sud mais ça été reporté. Ceci dit, il faut savoir que le film a été sélectionné pour le prochain Festival de Lausanne en Suisse et nous attendons également des résultats d’autres festivals.

ICF: Qu’est-ce que ça fait de passer réalisatrice télé à réalisatrice de cinéma ?
DY: Avant d’être réalisatrice télé, je suis d’abord réalisatrice de cinéma parce que je viens d’une école de cinéma. Cependant, je pense que les deux vont de pair, et à la personne de savoir les conjuguer ensemble.

ICF: Pourquoi le choix de vous focaliser sur le cinéma documentaire ?
DY: D’abord, il faut préciser que j’ai choisi de faire le documentaire pour l’instant et cela n’empêche que je fasse un jour de la fiction. D’ailleurs, en 2022, j’ai réalisé un court-métrage de fiction « Alliance interdite » produit par l’Institut Imagine de Gaston Kaboré qui va bientôt sortir. Le projet a été écrit par Ghislain Drabo, écrivain poète et scénariste. Du reste, j’ai commencé par le documentaire parce que ce genre cinématographique documente la réalité, ça raconte des histoires réelles. Contrairement à la fiction qui même si elle est inspirée de la réalité, les personnages sont toujours incarnés par des acteurs. Le documentaire a une grande force et puissance, on ne peut donc travestir l’histoire. C’est d’ailleurs l’outil qui a été utilisé aux premiers moments pour vendre une image négative de l’Afrique ; et c’est par lui également que nous allons défendre notre image. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’aime ce genre.

ICF: Mis à part ces projets cités, avez-vous d’autres projets en cours ?
DY: J’ai eu d’autres films (court et moyen métrage) mais « Sur les traces d’un migrant » est le tout premier long-métrage de ma carrière. Je travaille actuellement sur mon second long-métrage documentaire « L’âme de la nation » qui s’inspire du Dytaniè et qui interroge l’identité du Burkinabè actuel.

ICF: Comment voyez-vous l’avenir du documentaire dans le paysage cinématographique burkinabè ?
DY: Il faut dire que c’est un genre cinématographique qui était autrefois négligé mais aujourd’hui, les gens ont compris que ce genre mérite d’avoir une grande place. Aujourd’hui, il y a des initiatives que se créent pour donner une place importante au documentaire. Rodrígue Kaboré qui est exploitant du ciné Neerwaya a proposé par exemple de discuter avec nous pour voir comment on pourrait programmer mon film dans sa salle. Avant cela, nous avons discuté avec Kanazoé Distribution qui est également intéressé pour la diffusion au Ciné Burkina. C’est pour dire que des choses sont entrain d’être faits et que le documentaire qui ne rassemblait pas du monde en salles, est entrain de se faire une place. Et nous au niveau de l’Association des Documentaristes du Burkina dont j’en suis la présidente, nous nous inscrivons dans cette dynamique.

ICF: Dernièrement, vous avez participé à une résidence d’écriture au Japon, veuillez-nous en dire plus.
DY: Effectivement, je viens de rentrer d’une résidence d’écriture du côté de Nara au Japon. Cette résidence, financée par l’UNESCO en partenariat avec le Festival international de film de Nara, a rassemblé dix (10) jeunes Africaines pour un développement de projets de films documentaires. Il y avait le Burkina, le Kenya, l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Sénégal. Chacune des 10 réalisatrices a réalisé un film documentaire. L’idée c’était de développer rapidement son projet, le tourner et le monter sur place au Japon. Nous étions deux Burkinabè, Floriane Zoundi et moi. Personnellement, j’ai travaillé sur le terrorisme au Burkina Faso parce que les nouvelles que je recevais du pays n’étaient pas gaies. En effet, comme il y a des Burkinabè au Japon, il me fallait les approcher afin de sa savoir comment ils perçoivent les informations qui viennent du pays du fait des attaques, comment ils les vivaient au quotidien. Et c’était la première fois que je me retrouvais loin à recevoir des informations pareilles de mon pays. Chacun ressent la chose et de façon directe essaie d’apporter sa contribution. Je suis donc allée vers eux pour faire mon repérage un peu partout. Ce film est intitulé « Au-delà du rêve humain ».

ICF: C’est quoi la finalité de ce film réalisé à cette résidence ?
DY: En fait, ce film n’est qu’une partie de mon long-métrage « L’âme de la nation », surtout que c’est avec ce projet que j’ai postulé à cette résidence. Et comme étant là bas, je ne pouvais pas travailler sur ce long-métrage car les personnages principaux se trouvent au Burkina; il fallait donc adapter et c’est ce qui a donné mon projet de Nara. « Au-delà du rêve humain » va donc servir de première étape pour la réalisation de « L’âme de la nation ». Je rappelle qu’en septembre prochain, le film « Au-delà du rêve humain » va passer au Festival de Nara, au Japon. Et après cela, nous pourrons le faire diffuser au Burkina.

ICF: Nous sommes à la fin de notre entretien, quel est votre mot de fin ?
DY: Je tiens à remercier le Festival international de film de Nara, l’UNESCO. Je remercie également l’ambassade du Japon au Burkina Faso qui a facilité les choses, la RTB et toute sa direction, la FNCA, le FESPACO, Madame la ministre Valérie Kaboré, Fanta Nacro, etc. J’aimerais donc terminer en disant que ce qui fait souffrir véritablement les réalisateurs burkinabè, c’est le manque criard de fonds. Quand on prend l’exemple de certains de nos pays voisins, il y a des fonds qui y ont été créés pour permettre aux réalisateurs de mener à bien leurs projets de films. Si chez nous au Burkina Faso, nous avions un tel fonds, cela aiderait non seulement les réalisateurs, mais également les cinéastes et tous les autres maillons de la chaîne cinématographique; chose qui donnera encore un autre visage au cinéma burkinabè à la recherche de son lustre d’antan.

Interview réalisée par Boukari OUÉDRAOGO

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