Wendingouda Roukiata Ouédraogo est une comédienne, auteure et chroniqueuse radio burkinabè vivant en France. À son actif, elle a plusieurs livres et spectacles qui hissent haut le flambeau de la culture burkinabè. À l’orée de l’année 2023, elle a fait un flash-back sur ses activités de l’année 2022, proposer des projections pour l’année 2023 et présenter ses vœux au cours d’une interview accordée à notre rédaction. Lisez…
Infos Culture du Faso (ICF) : Veuillez-vous présenter à nos lecteurs s’il vous plaît.
Wendingouda Roukiata Ouédraogo (WRO) : Je m’appelle Ouédraogo Roukiata Wendingouda, je suis comedienne, auteure, chroniqueuse radio et scénariste de séries (Omerta à Ratanga, L’amour à 200 mètres).
ICF : Parlez-nous de votre carrière ?
WRO : J’ai rencontré le théâtre un peu par hasard. J’étais en France depuis peu de temps et j’avais encore du mal à me sentir à l’aise avec le Français, notamment lorsqu’il s’agissait de parler en public. Le français n’est pas ma langue natale, je l’ai appris à l’école et parfois mon accent faisait sourire certaines personnes. Je ressentais parfois leurs moqueries. Or j’avais un métier en contact avec la clientèle. Alors j’ai fait un stage de théâtre dans une grande école parisienne d’art dramatique, le cours Florent, pour acquérir un peu plus de confiance en moi. Mais un prof a repéré quelque chose en moi et a insisté pour que je m’inscrive pour le cursus complet. Et j’avoue que j’ai attrapé le virus du théâtre au cours Florent. À la fin de ma formation, j’ai créé mon premier spectacle « Yenenga l’épopée Des Mossé » en 2008. Par la suite, j’ai créé avec mon co-auteur et metteur en scène Stéphane Eliard « Ouagadougou Pressé », Puis « Roukiata Tombe Le Masque ». Pendant cette période, j’ai fait le circuit classique des humoristes : les scènes ouvertes, les festivals, un passage au Jamel Comedy Club, le Marrakech du rire et j’ai aussi participé au parlement du rire. En 2017, j’ai été repérée par Charline Vanhonoecker qui m’a intégrée comme chroniqueuse dans son émission sur France Inter, la radio nationale française. Peu après, un important producteur parisien est venu voir mon spectacle « Roukiata Tombe Le Masque » et a souhaité lui donner les moyens de plus grandes ambitions. Cette collaboration avec ce producteur a été l’occasion de reprendre le spectacle de fond en comble et de l’enrichir, de l’approfondir. À cette époque, je souhaitais me débarrasser de cette étiquette d’humoriste qui me collait à la peau et que je trouvais trop limitante. Nous avons donc donné à ce spectacle plus d’ampleur, plus de profondeur et nous l’avons rebaptisé « Je Demande La Route ». Titre prémonitoire, puisque depuis il ne cesse de parcourir les routes de France et de Navarre. Je souhaitais aussi faire évoluer mon travail créatif, développer d’autres dimensions, raconter d’autres types d’histoires. Par un mélange de chance et de volonté, j’ai pu écrire un premier roman et le faire éditer, « Du Miel Sous Les Galettes » (édition Slatkine & Compagnie) ainsi qu’une adaptation en bande dessinée de mon spectacle « Ouagadougou pressé » (Édition Sarbacane).
ICF : Parlez-nous des activités qui ont marqué votre carrière en cette année 2022.
WRO : En 2022, j’ai continué à tourner dans toute la France et même en Allemagne avec mon spectacle «Je Demande La Route». Je poursuis ma collaboration comme chroniqueuse. J’ai aussi travaillé à rédiger deux livres qui devraient paraître en 2023. C’était un gros travail car il fallait parvenir à dégager du temps pour cela, entre la tournée, les chroniques et ma vie de maman. À cela s’ajoutent mes différents engagements auprès d’associations luttant contre les violences faites aux femmes; je pense notamment ma participation comme marraine au gala du GAMS, qui lutte contre les mutilations sexuelles des femmes; ma participation à la levée de fonds pour l’association Ikambere qui accompagne des femmes en grande fragilité vivant avec le VIH; ou mon investissement auprès de l’association ZOODO1 qui vient en soutien aux femmes dans l’Est du Burkina Faso. Mais je crois que l’évènement dont je suis le plus fière cette année est la rencontre littéraire que nous avons pue organiser avec Stéphane Eliard et Judith Ida Sawadogo à l’institut français de Ouagadougou en septembre. Nous avons pu organiser un beau débat avec les mamans de la littérature burkinabè à savoir Monique Ilboudo et Bernadette Sanou Dao auquel ont participé la romancière franco-sénégalaise Laurence Gavron et l’ivoirienne Mahoua S. Bakayoko.
ICF : Quel bilan tirez-vous de toutes ces activités ?
WRO : À ce stade, je n’en suis pas à l’heure du bilan. J’ai un spectacle qui tourne, deux livres en cours de correction et de nombreux projets en tête. Je suis plutôt engagée dans un processus dynamique. L’heure du bilan viendra plus tard. Mais s’il faut vraiment parler en termes de bilan, je crois que mon spectacle est une affaire qui marche bien, ma BD « Ouagadougou Pressé » se vend très bien et mon livre « Du miel sous les galettes » a été récompensé par plusieurs prix littéraires. Je suis donc globalement satisfaite en cette fin d’année de ce qui a été posé jusqu’ici.
ICF : Des difficultés ont-elles émaillé l’atteinte de la réalisation de vos différents programmes en 2022 ? Si oui, lesquelles ?
WRO : D’une manière générale, la vie charrie toujours son lot de déceptions. Je pense par exemple à ce caméraman à qui j’avais versé une avance pour la captation de l’évènement littéraire à l’institut de Ouagadougou. À ce jour, cette personne ne m’a ni livré les images, ni remboursé l’argent versé. Ce genre de petite escroquerie est toujours pénible car au-delà de l’argent perdu, j’avais besoin de ces images. Mais quand on se souvient de ce que fut la période des restrictions sanitaires liées à la Covid qui a littéralement gelé toutes les activités culturelles, 2022 fut une bonne année.
ICF : De façon générale, que pensez-vous des activités culturelles au Burkina, au cours de cette année ?
WRO : Il est vrai que même si je ne vis pas au pays, je suis de très près son actualité et c’est encourageant de voir tout ce que les artistes burkinabè ont réalisé en 2022. J’ai été particulièrement marquée par l’évènement de Adjaratou Ouédraogo, une artiste plasticienne qu’on ne présente plus; « Ma ville en peinture » une magnifique initiative aux dimensions artistiques et sociales. Ma seule activité culturelle au Burkina Faso en 2022 fut l’organisation de l’évènement littéraire à l’Institut Français. Comme je vous l’ai indiqué, je suis très heureuse et même fière de ce que nous avons pu réaliser. La salle du Petit Méliès (200 places) était pleine, le débat a été passionnant et les questions du public très intéressantes. Les dédicaces et les ventes de livres ont très bien marché aussi et nous sommes satisfaits de la couverture médiatique. Même RFI en a rendu compte, confirmant ainsi la portée internationale de l’évènement. Mon seul regret est que si nous avons été généreusement soutenus par la France et la communauté Européenne, nous nous sommes heurtés à un silence assourdissant de la part des institutions burkinabè. Je parle des institutions publiques, du ministère de la culture. L’hôtel Bravia nous a soutenu en faisant une remise sur les prix des chambres et Ibrahim Hema de la fondation Orange Burkina nous a prêté une oreille attentive. Mais le délai très court n’a malheureusement pas permis de finaliser un accord. Toutefois, on les a sentis très intéressés. Le ministère de la culture, en revanche sollicité, relancé, n’a jamais pris le temps de nous répondre. Même pas un refus courtois, rien, nada, silence radio.
Quand on voit l’état de la chaîne du livre au Burkina, l’indigence de l’édition, la faiblesse de la diffusion et de la distribution des livres et finalement l’étroitesse du lectorat au Burkina, on se dit que tout ce qui peut contribuer à développer l’écosystème littéraire dans ce pays est bon à prendre. Je crois que ce que nous avons proposé à l’Institut français allait dans le bon sens. Le silence du ministère de la culture est très regrettable. Quand on a l’occasion de gérer nous-même nos affaires en saisissant les opportunités proposées par les enfants du pays, il faut savoir le faire. Nous avons des forces, nous avons des ressources propres. Il ne faut pas les gâcher ou laisser d’autres s’en saisir. Comme le disait le philosophe ivoirien Yacouba Konaté, «bien misérable celui qui laisse à autrui le soin de raconter sa propre histoire».
Mais je suis confiante en l’avenir et je veux croire que le nouveau pouvoir en place saura prendre en considération l’importance de la culture. Le Burkina ne peut pas se contenter de renvoyer au monde l’image d’un pays instable victime de la violence djihadiste. Il a besoin de raconter lui-même sa propre histoire et d’en être fier et c’est justement le rôle des artistes, des écrivains, des intellectuels de réinventer sans cesse la manière de raconter le Burkina et ils doivent être entendus et soutenus.
ICF : Nous sommes aux portes de l’année 2023, quelles sont vos perspectives ?
WRO : Comme je le disais, j’ai deux livres sur le feu qui devraient paraître en 2023. Mon spectacle « Je Demande La Route » n’a pas fini sa carrière et la tournée se poursuivra au moins jusqu’au printemps. Je suis en train de travailler à une tournée africaine. J’ai également en tête un nouveau spectacle, des projets cinématographiques etc…
ICF : Quels sont vos vœux pour la nouvelle année ?
WRO : Je souhaite à tout le monde la santé, la prospérité, le bonheur, la paix et la sécurité. L’art, la littérature, la culture ne sont plus des priorités pour des gens qui sont malades, qui ont faim ou qui sont victimes de violences. Or, la flamme de la culture doit être entretenue car un peuple sans culture est un peuple très mal en point. Je souhaite donc aussi à chacun une année pleine de musique, de littérature, de cinéma, de danse, de théâtre…
ICF : Nous sommes au terme de notre entretien, quel est votre mot de fin ?
WRO : Mon mot de fin sera qu’il faut garder l’espoir. Nous avons au Burkina maintenant une nouvelle équipe dirigeante qui, je l’espère de tout mon cœur saura répondre aux urgences du moment. Le pays va mal et nous devons tous faire bloc pour que les années qui viennent, à commencer par 2023, soient celles qui verront le Burkina Faso sortir de la crise actuelle et redresser la tête avec fierté. Et à la jeunesse burkinabè, je voudrais dire : courage, ne lâchez rien, gardez espoir, continuez à vous battre pour avancer car vous êtes l’avenir de notre pays.
Interview réalisée par Parfait Fabrice SAWADOGO