jeu 21 novembre 2024

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FESPACO 2023 : «mon film « Épines du Sahel » traite des souffrances, de la résilience des populations face au terrorisme», Boubakar Diallo

L’on se souvient de son long-métrage « Les Trois Lascars » qui a été lauréat du Prix CEDEAO de l’intégration à la 27e édition du FESPACO. Pour cette édition de la biennale du cinéma africain qui se tiendra du 25 février au 4 mars prochain, deux de ses films ont été sélectionnés dont le plus attendu est le long-métrage « Épines du Sahel » au niveau de la section panorama. Boubakar Diallo, puisque c’est de lui qu’il est question, est un scénariste, réalisateur et producteur burkinabè. Dans un entretien qu’il nous a accordé, l’homme revient sur ce film, ses attentes à ce FESPACO ainsi que d’autres sujets liés à la cinématographie burkinabè.

Infos Culture du Faso (ICF) : Vous avez deux films sélectionnés au FESPACO, qu’est-ce que cela vous fait ?

Boubakar Diallo : Ce n’est pas la première fois que je vois mes film sélectionnés. Du reste, cela fait toujours plaisir. C’est un honneur et on espère faire bonne figure. Mais en même temps, je l’ai pris avec beaucoup de regrets parce qu’on a souhaité avoir ce film en compétition officielle long-métrage. Vous savez, le public nous connaît comme une production qui propose très souvent des comédies. Et pour une des rares fois, on a un sujet très dramatique avec ce long-métrage « Épines du Sahel » qui traite des souffrances, de la résilience des populations face au terrorisme. On avait donc souhaité que ce film fasse partie des projets qui allaient représenter le Burkina Faso dans la compétition officielle. Cela n’a pas été le cas, mais nous sommes sélectionnés dans la section panorama. L’essentiel est que le film soit vu en attendant sa sortie officielle.
Du reste, on a le film long-métrage « SIRA » de notre consœur Appoline Traoré, qui a été sélectionné. On espère donc de tout cœur qu’elle remporte enfin, pour le Burkina Faso, l’étalon d’or du Yennenga. Cela fait un bon nombre d’années d’attentes et nous espérons cette victoire pour le bien de toute la cinématographie burkinabè.

ICF : Comme vous l’avez dit, « Épines du Sahel » traite du terrorisme. Mais de façon spécifique, de quoi est-il question dans ce film ?

Boubakar Diallo : Il faut dire que nous avons choisi de traiter ce film sous l’angle d’une jeune femme qui a perdu ses deux parents une vingtaine d’années plus tôt et qui a perdu l’ouïe à la suite d’une explosion (lors d’un attentat kamikaze). Elle a grandi avec cela et a bravé cet handicap pour devenir infirmière. L’histoire se passe principalement dans un camp de déplacés internes où elle va faire des rencontres et participer à résoudre des problèmes. C’est un prétexte pour vivre un peu les difficultés de ces familles, principalement ces femmes, ces veuves, ces enfants qui se retrouvent dans les camps de réfugiés, le tout dans des conditions assez difficiles. C’est en quelque sorte une manière pour nous de dépeindre toutes ces tristes réalités et marquer le côté documentaire de cette fiction long-métrage afin qu’on s’en souvienne. Et on espère fermement que ces évènements malheureux seront vite oubliés dans nos vécus et que nos enfants se rappellent un jour que notre pays est passé par là.

ICF : Dans quelles conditions ce long-métrage a été tourné ?

Boubakar Diallo : Je dirais dans des conditions très difficiles parce que le film a joué de malchance. On a eu beaucoup d’épines dans les pieds. Déjà, ce projet a débuté sous le premier gouvernement du Président du Faso Rock Marc Christian Kaboré; et Abdoul Karim Sango, ministre en charge de la Culture à l’époque, m’avait reçu et je lui avais présenté le projet. Ensuite, il y a eu plusieurs ministres qui se sont succédés jusqu’à ce que l’ex ministre Madame Valérie Kaboré me reçoive encore. Aujourd’hui, le film sort sous l’ère du ministre actuel de la culture Jean Emmanuel Ouédraogo. C’est pour dire que cela fait un bon moment que nous trimbalons ce projet. On l’a soumis pour des demandes de coproductions et on a eu l’accompagnement de Canal+. Ensuite, il y a eu un concours de circonstances qui a fait que lorsque les résultats de l’appel à projets du Ministère sont sortis, curieusement le Dromadaire ne faisait pas partie des bénéficiaires alors qu’on était un des tous premiers à déposer les dossiers. Il y a donc eu un appel à projets spécial qui s’est conclu avec des résultats très décevants.
Ce n’est pas pour créer la polémique mais en même temps, c’est malheureux quand on sait tout le travail que les Films du Dromadaire fournit depuis toutes ces années. On ne demande même pas un traitement particulier, mais juste être traité normalement. On a même l’impression qu’il y a des gens qui s’amusent à nous mettre des bâtons dans les roues. C’est ce qui fait que la production de ce film a été difficile. N’eût été la bonne volonté de Canal+, je ne pense pas qu’on aurait pu y arriver. On espère que les choses vont rentrer dans l’ordre parce qu’on a beau dire que nul n’est prophète chez soi, mais je pense qu’il y a des limites. Il faut vraiment reconnaître le travail des gens et les encourager.

ICF : Vu la complexité du contexte actuel, comment vous êtes-vous pris pour réaliser ce projet ?

Boubakar Diallo : Au moment où nous nous apprêtions à lancer le projet, il y a eu le dernier coup d’État qui a porté le Capitaine Ibrahim Traoré à la tête du pays. De ce fait, cela n’a pas été simple de pouvoir avoir les différentes autorisations notamment pour la participation de l’Armée, ce n’était pas évident. Mais au bout du compte, elle a répondu présent. Aussi le ministère de l’Action Sociale a facilité l’obtention des tentes pour mettre en place le camp qui a servi de décor pour le tournage. Curieusement, c’est auprès de notre ministère de tutelle que tout ne s’est pas déroulé comme il le fallait, sinon tous ceux qui ont été sollicités ont réagi à temps et de façon efficace.
Cependant, tout tournage sur le terrain est une nouvelle aventure et c’est normal qu’il y ait des difficultés. Il appartient à la production de savoir se réinventer et trouver des astuces pour résoudre ces difficultés. Mais ce que je retiens comme anecdote lors du tournage et qui traduit un peu l’aspect dramatique de cette histoire, c’est que nous avons travaillé avec des déplacés internes et ce n’était pas évident de les mobiliser (plus de 200 personnes). Et ce qu’il faut retenir c’est qu’il y a certaines femmes déplacées qui viennent des villages endeuillés; à la vue des policiers avec des armes sur le site du tournage, elles ont tout simplement paniqué et se sont enfuies dans la brousse. Il fallait les rattraper, leur parler, les rassurer. C’est une expérience assez difficile qui démontre les difficultés rencontrées sur le tournage, mais par-dessus tout l’importance du sujet abordé dans ce film. C’est une fiction qui s’inspire de la dure réalité.

ICF : Aujourd’hui, le résultat est là, quelles sont vos attentes à la suite de ce FESPACO 2023 ?

Boubakar Diallo : Vu que nous ne sommes pas en compétition officielle, l’idéal sera d’apporter notre contribution parce qu’il y aura beaucoup d’étrangers et c’est l’occasion de leur faire découvrir notre travail. À travers donc ce film, ces personnes vont s’imprégner des difficultés que traversent nos populations confrontées au terrorisme. Mais en attendant la sortie du film et comme nous sommes en partenariat avec Canal+ qui a un réseau de salles de cinéma partout en Afrique francophone, nous allons essayer de partager notre expérience avec les autres pays.

ICF : Dans une dizaine de jours, le FESPACO ouvrira ses portes. Que vous inspire cette édition ?

Boubakar Diallo : On est heureux que cette édition soit confirmée et se tienne à bonne date. On se réjouit également que les conditions soient réunies pour qu’on puisse tenir ce FESPACO en ce sens que cela y va de l’image de notre pays. Malgré tous les messages alarmistes véhiculés à l’international, on a l’occasion de montrer que nous continuons d’exister et que le Burkina Faso n’est pas entièrement peint en rouge comme on tente de le faire croire.

ICF : Qu’est-ce que cela vous fait de voir qu’un grand nombre de films burkinabè fait partie de la sélection officielle ?

Boubakar Diallo : Pour la compétion officielle long-métrage, c’est une quinzaine de films dont un de chez nous, et il y a aussi les compétions des autres sections officielles. C’est un véritable challenge pour le cinéma burkinabè. Du reste, le FESPACO continue de mériter sa réputation même si je pense qu’il y a encore beaucoup à faire. Il ne faut donc pas s’endormir sur nos lauriers. Au contraire, il faut mettre l’accent là où il faut parce que les choses évoluent. On a beau dire que nous sommes la capitale du cinéma africain, mais tant que nos autorités n’auront pas une lisibilité plus réactive, on va finir par se faire « doucher ». En effet, d’autres pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Nigeria y mettent les moyens; et à cette allure, on ne pourra pas résister si rien n’est fait. Il faut qu’on sorte des faux débats pour être concrets sur le terrain.
On parle de plus en plus de créer les conditions pour une industrialisation du cinéma, mais dans les faits, un festival comme le FESPACO laisse peu de places à ceux qui participent à créer ce mécanisme. À chaque édition, ce sont ceux qui travaillent dans cette dynamique qui sont mis à l’écart pour soit disant valoriser les films d’auteurs. C’est très sympathique mais ce n’est pas cela qui va permettre de créer une industrie.

ICF : En tant que l’un des cinéastes les plus reconnus du pays et même d’Afrique de l’Ouest, que préconisez-vous comme alternatives ?

Boubakar Diallo : On se réjouit de la création récente du Centre National du Cinéma, en espérant que dans un délai relativement raisonnable, on puisse créer un fonds dédié au cinéma. C’est vraiment la condition pour que ce ne soit pas l’éternelle galère où il faut attendre que des commissions ou sous-commissions se réunissent pour sortir des résultats qui sont toujours discutables. C’est bien qu’il y ait un mécanisme clair et transparent pour tout le monde.

ICF : Alors, un autre de vos films a également été sélectionné notamment « L’affaire Sam Mory ». Veuillez-nous en dire plus sur ce projet.

Boubakar Diallo : Il y a deux ans, nous avons eu le soutien du Fonds de Développement Culturel et Touristique (FDCT) pour un projet de long-métrage dénommé « L’affaire Sam Mory ». C’est l’histoire d’un magistrat qui s’appelle Samuel Mory, d’où l’abréviation Sam Mory, pour faire un clin d’œil à un personnage historique. C’est un film qui va parler à beaucoup de Burkinabè dans la mesure où c’est l’histoire d’un juge qui est assassiné dans des conditions très troubles. Assassinat à la suite duquel le syndicat des magistrats tente de faire bouger les lignes, mais avec le pouvoir en place il y a beaucoup de blocages. Est-ce que le syndicat ainsi que la veuve vont réussir contre la grosse machine, c’est la véritable question ? Ce n’est pas spécifiquement ce qui s’est passé au Burkina Faso, mais je dirais que le film s’en inspire sur certains aspects.

ICF : Quel est votre mot de fin ?

Boubakar Diallo : J’espère que la 28e édition du FESPACO va se dérouler dans de bonnes conditions et qu’à l’avenir, la machine qui accompagne le 7e art soit plus efficace.

Interview réalisée par Boukari OUÉDRAOGO

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