Dans cette interview exclusive accordée à Info Culture Du Faso, Alima Ouédraogo, réalisatrice et actrice burkinabè, nous parle de son film « Ça Suffit », un projet sélectionné pour la compétition du FESPACO 2025. Un film audacieux qui aborde le sujet sensible du viol conjugal, encore trop rarement traité dans le cinéma africain. Elle revient sur son parcours, les défis rencontrés durant la production, ainsi que ses choix artistiques pour donner vie à cette œuvre qui espère toucher et sensibiliser le public. Un témoignage fort sur le rôle du cinéma dans la société.
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Infos Culture Du Faso (I.C.F.) : Pour commencer, pouvez-vous vous présenter et nous parler un peu de votre parcours en tant que réalisatrice ? Qu’est-ce qui vous a poussée à faire du cinéma et comment est née votre passion pour la réalisation ?
Alima Ouédraogo : Je suis Alima Ouédraogo, plus connue sous le nom de Sofia, grâce au film Sofia de Boubacar Diallo dans lequel j’ai joué. Ce qui m’a poussée à faire du cinéma, c’est d’abord un rêve d’enfant, comme beaucoup d’autres. Quand on regarde la télévision, on a envie de sortir à l’écran. C’est un rêve qui a germé dès mon jeune âge, mais je ne savais pas à ce moment-là que cela allait se concrétiser. J’ai commencé en tant qu’actrice en 2003, et en 2020, je me suis lancée dans la réalisation.
I.C.F. : Pouvez-vous nous parler de votre film en compétition au FESPACO 2025 ? Quel est son histoire et quel message central souhaitez-vous transmettre ?
Alima Ouédraogo : Le film en compétition s’intitule ‘‘Ça suffit ». Ce film aborde un sujet difficile et tabou dans nos sociétés : le viol conjugal, un thème rarement évoqué. J’ai choisi de traiter ce sujet parce que j’ai été confrontée à des témoignages de personnes ayant vécu cette situation. Parfois, cela mène même à des divorces. Le film met en lumière que ce n’est pas seulement un problème des femmes, mais aussi des hommes. Il y a des femmes sexuellement insatiables, tout comme il y a des hommes dans la même situation. Le message que je souhaite transmettre est que le sexe doit être avant tout un plaisir partagé, et lorsque cela devient excessif, il nuit à la relation.
I.C.F. : Quels éléments spécifiques ou événements de l’histoire ont motivé le choix de ce projet ? Qu’est-ce qui vous a poussé à en faire un film ?
Alima Ouédraogo : L’élément déclencheur a été un ras-le-bol face à différents témoignages que j’ai entendus autour de moi. Comme je l’ai dit précédemment, notre quotidien est une source d’inspiration pour le cinéma. Chacun choisit un sujet qui le touche personnellement pour en faire un film. Le cinéma est un canal puissant pour faire passer un message. C’est ce qui m’a poussée à traiter ce sujet en particulier : l’envie de briser le silence autour de la violence conjugale et de sensibiliser à ce problème.
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I.C.F. : Pourquoi avez-vous choisi de traiter ce sujet particulier dans le contexte actuel du cinéma africain ?
Alima Ouédraogo : Je ne suis pas certaine de comprendre ce que vous entendez par « contexte actuel du cinéma africain », car le cinéma aborde une multitude de thématiques. Ce n’est pas mon sujet qui est forcément spécial ou unique, mais je pense qu’il est nécessaire de parler de ce sujet en dehors des autres. Le viol conjugal est un problème qui n’est pas souvent abordé, et je trouve qu’il est important de briser ce tabou, de donner une voix aux victimes et d’inviter à la réflexion sur ces questions.
I.C.F. : Le financement et le budget de production sont souvent des défis pour de nombreux réalisateurs. Pouvez-vous nous parler du budget de votre film ? Comment avez-vous réussi à le gérer et à maximiser l’impact de vos ressources pour donner vie à votre projet ?
Alima Ouédraogo : Le problème de financement se pose toujours, car sans argent, il est difficile de réaliser un film. Pour un projet cinématographique, il faut des moyens, à la fois financiers et techniques. Il est essentiel d’être bien entouré pour produire un bon film. Pour « Ça suffit », j’ai bénéficié de l’aide du ministère de la communication, de la Culture, des Arts et du Tourisme (MCCAT) que je remercie au passage, ainsi que du Fonds de Développement Culturel et Touristique ( FDCT ) et du dernier appel à projet de l’Union européenne. Grâce à ces soutiens et à la collaboration avec divers partenaires, j’ai pu réaliser ce film, même s’il reste encore quelques petits ajustements à faire. Mais déjà, c’est un bon début.
I.C.F. : Comment avez-vous sélectionné les acteurs principaux ? Quelles qualités ou compétences recherchiez-vous chez eux pour ces rôles spécifiques ?
Alima Ouédraogo : Au départ, ce n’était pas Émilie Dioma qui avait été choisie pour le rôle de Manuela, mais au fur et à mesure de la préparation et de l’évolution du casting, c’est elle qui a été retenue. Pour l’acteur principal, quand j’écrivais le film, c’était avec lui en tête. Il n’y a pas eu de complication particulière. Je cherchais une femme forte, de grande taille, qui, malgré sa force dans le foyer, ne pèse pas sur les autres, car son personnage va subir des violences. Cela montre que souvent, ce n’est pas le physique qui compte, mais plutôt le mental et la capacité à incarner une telle force intérieure.
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I.C.F. : Y a-t-il eu un aspect particulier concernant le choix des acteurs pour les rôles principaux, et avez-vous rencontré des défis liés à l’interprétation de certains personnages ?
Alima Ouédraogo : Oui, il y avait un aspect particulier dans le choix des acteurs. Par exemple, Raphaël, incarné par l’acteur que j’ai choisi, devait jouer le rôle de l’homme insatiable sexuellement. Cela représentait un défi, car il était perçu comme le « méchant » du film. Ce n’est pas une situation évidente à aborder pour un acteur. Il faut un acteur professionnel capable de différencier le jeu de la vie personnelle. Lorsque je lui ai expliqué la psychologie du personnage, il a pu facilement entrer dans le rôle et offrir une performance convaincante. Quant à l’actrice principale, comme je l’ai mentionné précédemment, je voulais une femme forte, et c’est pourquoi le choix s’est porté sur Émilie Dioma pour incarner Manuela.
I.C.F. : Comment avez-vous travaillé avec les acteurs principaux pour rendre leurs performances authentiques et émotionnellement fortes ?
Alima Ouédraogo : Oui, il y a eu un travail préalable avec les acteurs. Nous avons eu un metteur en scène et un directeur artistique qui ont contribué à ce processus. Nous avons fait environ trois semaines de préparation avec les acteurs pour les mettre vraiment dans le rôle et leur faire comprendre ce qui les attendait, surtout en ce qui concerne les scènes plus difficiles. Pendant cette période, chacun a donné corps et âme à son personnage pour qu’on puisse aboutir à un bon résultat.
I.C.F. : Quelles ont été les plus grandes difficultés pendant le processus de production, et comment avez-vous réussi à les surmonter ?
Alima Ouédraogo : Il n’y a pas eu de difficulté majeure. Il y avait un directeur de production et une équipe solide, réunie autour du projet. Je me suis entourée de professionnels, ce qui a facilité les choses. La communication était fluide, et même lorsque des lacunes se sont présentées, nous avons su les surmonter rapidement. Le doyen, Traoré Brahima, était également présent, ce qui a contribué à la bonne marche du projet. Au final, tout s’est très bien déroulé. C’était une expérience enrichissante, et j’espère que la prochaine sera encore meilleure.
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I.C.F. : Qu’espérez-vous que le public, en particulier africain, retienne de votre film et comment pensez-vous que ce projet pourrait influencer le cinéma africain de demain ?
Alima Ouédraogo : Je pense que le public va bien accueillir ce projet, car nous sommes dans une capitale du cinéma, et au Burkina Faso, les Burkinabè aiment vraiment aller au cinéma. Je n’en doute pas. Ce film est à la fois sensibilisateur et fédérateur. Le thème abordé traite de l’éducation des parents, de la gestion des situations de crise dans le foyer et de l’impact de ces crises sur les enfants. Il y a beaucoup de réponses que les gens vont trouver dans ce film. Je pense que cela sera bien accueilli. Je suis aussi contente et je félicite nos réalisateurs et cinéastes, car malgré les difficultés de financement, il y a toujours des productions. Cela montre que les gens ont toujours quelque chose à dire, et c’est vraiment à saluer. De plus, cette année, il y a eu une grande participation des femmes, ce qui est encourageant. Cela incite à se mettre au travail pour produire des films de qualité, afin que le public puisse à la fois s’amuser et apprendre.
Interview réalisée par Parfait Fabrice SAWADOGO