ven 22 novembre 2024

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ENTRETIEN: «L’industrie cinématographique burkinabè a bien un avenir… ce qui manque peut-être, c’est une vision à long terme pour faire de cela une réalité», Drissa Touré, réalisateur burkinabè

Le cinéaste Drissa Touré était l’invité de votre plate-forme culturelle ce 30 août 2021 dans la cité de Sya. Né en 1952 à Banfora, ce doyen de la capitale du cinéma africain, avec plus d’une trentaine d’années de carrière, nous raconte ses premiers pas dans le monde de l’audiovisuel alors qu’il était chauffeur de taxi. Ses projets en cours, son combat pour la réhabilitation de la salle du ciné Sanyon de la capitale culturelle ainsi que sa vision de l’avenir du cinéma burkinabè sont entre autres les questions abordées lors de nos échanges. Lisez plutôt !

Infos Culture du Faso (ICF) : Avant d’entrée dans le vif du sujet, nous allons vous demander de vous présenter à nos lecteurs ?

Drissa Touré (DT) : Moi, c’est Drissa Touré. Je suis cinéaste et je suis parmi les doyens du cinéma burkinabè. Je suis bobolais et sans être régionaliste, la décentralisation nous a recommandé de créer l’économie chacun dans son domaine et ce concept me plaît beaucoup. Avec mon expérience dans le cinéma, de surcroît de Bobo, je voudrais que l’industrie du cinéma parte de Bobo qui est la capitale culturelle du pays. Mais force est de constater que le cinéma est très bas aujourd’hui.

ICF : Aujourd’hui, nous avons des écoles qui forment des étudiants dans le domaine de l’audiovisuel. Est-ce que Drissa Touré est passé par une école de formation ou comment vous est née cette passion pour le cinéma ?

DT : En ce qui me concerne, je n’ai pas fait d’école de cinéma. Je suis un autodidacte. Je suis parti d’ici en tant que chauffeur de taxi. J’aimais beaucoup la radio et le cinéma donc j’écrivais tout ce que je voyais et entendais en tournant avec les passagers. On est dans un pays à 90% analphabète, les gens ne savent pas lire et écrire donc j’ai voulu faire du cinéma en ajoutant l’image au son pour faire passer mon message. Mais ma vraie vocation est née lors de rencontre avec Sembene Ousmane alors que j’étais chauffeur au FESPACO. J’ai donc commencé à faire du cinéma d’auteur; c’est-à-dire les films qui sont subventionnés pour être présentés dans les festivals. Partout où il y avait un festival dans le monde, j’étais présent. Notons qu’il y a aussi le cinéma à but lucratif, dans ce cas le réalisateur produit le film par ses propres moyens et les fait passer dans les salles de projection. Le souci est qu’il n y a pas de salles d’art et d’essais ici, comparativement à d’autres pays en Europe où l’industrie du cinéma est très développée.

ICF : Votre premier film  »Le sort  » a été réalisé depuis les années 1982. Dites nous comment est née l’idée de réaliser ce film ?

DT : Dans mon emploi de chauffeur, j’ai été recruté comme chauffeur de l’organisation régionale du développement (ORD) dans la Bougouriba. On a été vers Dano avec les canadiens qui construisaient les routes. Les autochtones ont vu que pour désenclaver la route, ils ont déraciné un grand arbre. Les villageois sont donc sortis avec des tam-tam funéraires pour pleurer l’arbre. L’idée m’a traversé et j’ai écrit le scénario de mon premier film court métrage « Le sort ». C’était en 1982 et c’est ça mon histoire. Je me suis rendu à la Direction du cinéma avec Gaston Kaboré comme directeur à l’époque. Ils ont lu et analysé le scénario et ils ont décidé de financer la production du film. C’est donc ma conviction et ma vision que j’avais à dévoiler et j’ai bousculé partout pour avoir les financements.

ICF : Comment se portait l’industrie cinématographique burkinabè à vos débuts dans les années 80 et comment se porte t-elle aujourd’hui ?

DT : À notre époque, on a été scénariste, producteur et réalisateur en même temps. C’était le 35 millimètre qui était là et c’était costaud et le laboratoire, c’était en France. C’était très difficile mais on a réussi à le faire. Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, on peut faire du cinéma très facilement. Sans oublier qu’aujourd’hui, il y a l’ISIS (Institut supérieur de l’image et du son) qui forme ces jeunes dans l’audiovisuel. C’est vrai, qu’il manque d’accompagnement mais ils se débrouillent sur le plan national comme local pour réaliser leur film. Si nous prenons l’exemple du FESPACO nous participons en tant que cinéastes d’auteur. Quand on est sélectionné on n’est pas payé; mais on est juste pris en charge pour pouvoir montrer notre savoir faire. Cependant, c’est aussi l’occasion pour nous de faire des rencontres, de présenter nos scénarios aux partenaires tout en espérant des financements pour leur réalisation.

ICF : Toutes catégories confondues, dites nous combien de films avez-vous réalisés à ce jour ?

DT : Étant ici au Burkina, j’ai réalisé cinq (05 ) courts métrages qui sont entre autres «Le sort» en 1982, « NASA Bulé » en 1984, « La forêt dense » en 2003, « La loi de Moïse » en 2013 etc…, qui sont passés au FESPACO et à l’institut culturel français. Il y’a aussi deux (02) longs métrages que sont « Laada » en 1991 et « Haramuya » en 1994.

ICF : Parmi ces films suscités, lequel a connu le plus grand succès ?

DT : Je dirai qu’il s’agit de mon premier long métrage « Laada ». Je suis allé en France en aventurier avec le scénario de ce film. J’ai eu le financement et je suis revenu au Burkina pour faire le tournage avec une équipe de techniciens 100% burkinabè. Le film a été tourné à Dingasso. Ce film « Laada» a été sélectionné au festival de Cannes et par la suite à Rotterdam.
Il y a également le film « Haramuya » qui a été monté en France par une marocaine qui a connu un succès mondial.

ICF : Parlant de prix, le Burkina, pays considéré comme la capitale du cinéma africain et abritant le FESPACO, à ce jour n’a remporté que deux Etalons d’or. Qu’est-ce qui explique cet état de fait ?

DT : Objectivement, il y a des talents ici. Au regard du manque d’accompagnement, c’est à féliciter. Ce n’est pas pour rien si des personnes comme Idrissa OUEDRAOGO et autres ont eu des oscars. Tout le monde rêve de venir au FESPACO. Avec l’Institut africain d’éducation cinématographique (INAFEC), toute l’Afrique venait se former au Burkina en matière de cinéma et de l’audiovisuel. Avec le temps, toutes ces écoles ont fermé. Aujourd’hui, on forme les jeunes talents à l’ISIS/SE mais il y a toujours le manque d’accompagnement. Également, le problème de manque de salles fait que nous manquons de visibilité. L’État peut construire des salles dignes de ce nom ou réhabiliter celles qui sont déjà là pour aider les cinéastes à se faire connaître. C’est insoutenable. Les décideurs avec nous acteurs du cinéma, on ne se comprend pas. Je pense qu’on va nous comprendre après mais il serait déjà trop tard.

ICF : Vous qui avez plus d’une trentaine d’années de carrière ; dites nous si le ministère en charge de la culture fait assez pour les cinéastes que vous êtes ?

DT : Il n y a pas assez de salles de cinéma au Burkina. À notre époque, il y avait le ministère de la coopération qui donnait beaucoup de subventions pour faire des films. Pour mon long métrage, j’ai reçu 500 millions FCFA de subvention. En effet, mon long-métrage « Haramuya » a été financé par le ministère de la coopération en accord avec le Centre national du cinéma français (CNC). Aujourd’hui, ce ministère a disparu pour laisser place au ministère des affaires étrangères. Nous avons pu poser les bases mais aujourd’hui, il n y a plus de subvention. Il faut que chacun se débrouille soi-même. ll faut approcher les gens pour arriver à financer l’industrie du cinéma. Nous devons donc arriver à créer notre propre économie.

ICF : Vous avez pris la gestion de la salle de ciné de Gaoua depuis 2004 et le ciné Sanyon de Bobo en 2019. Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans la gestion de ces salles de ciné quand on sait qu’on est en période de pandémie et aussi que les jeunes ne s’intéressent pas trop aux salles de ciné avec l’avènement des smartphones ?

DT : On a pris la gestion de ces salles parce qu’on est revenu d’une tournée européenne trouver que l’État vendait ces salles. À l’époque, la caisse louait la salle à deux cent cinquante (250) mille francs jour et un (01) million le mois pour les cérémonies de baptême et autres. Le manque d’entretien a fait que le bâtiment qui était resplendissant s’est délabré. Avec Raymond Tiendrebeogo, le président de la Fédération des cinéastes, on a voulu faire quelque chose pour sauver le cinéma burkinabè et c’est ainsi que j’ai pris la salle ciné Sanyon des mains de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS). En tant que doyen, j’ai voulu réhabiliter la salle pour qu’il  n y ait pas de rupture. C’était aussi l’occasion pour moi de protéger l’arbre mythique et sacré des bôbô qui se trouve dans l’enceinte du ciné et qui servait de lieu de culte pour les masques. Il fallait sauvegarder le patrimoine. J’ai équipé la salle avec tout le matériel nécessaire et mettre l’électricité et le groupe électrogène en marche. On a ouvert la salle en partenariat avec d’autre cinéastes mais il n y avait pas d’engouement. J’ai donc décidé de faire des magasins à l’intérieur pour mettre à la disposition des commercants afin qu’ils puissent vendre les films de nos artistes. Je payais 500 000 FCFA chaque mois et tout ce que j’ai investi dedans reste la propriété de la caisse et de Bobo. Le Directeur régional de la CNSS a d’ailleurs rompu le contrat à l’issu des six (06) mois et c’est le ministre Karim Sango à qui j’ai adressé une lettre, avec le concours du Directeur général de la CNSS, qui a permis la prolongation du contrat. Au niveau du conseil régional de l’Ouest, l’Union européenne a donné cinq milliards de FCFA pour la culture, pour cinq ans afin de subventionner les artistes de la région. L’argent est arrivé et ils ont perdu trois ans sans l’octroyer aux artistes. Jusqu’à présent, nous sommes toujours sans suite de procédure interne lourde à l’administration. J’ai demandé leur appui pour terminer le reste des travaux et c’est resté sans suite jusqu’à ce jour. Et pour dire vrai, mon espoir est perdu pour la rénovation du ciné Sanyon que j’avais prévue. La justice ne vient pas de la loi et j’ose espérer qu’il y aura des hommes de vision pour terminer le travail déjà abattu. Même la nature va concourir, j’en suis certain.

ICF : Au regard de toutes ces difficultés, pouvez vous nous dire si le cinéma burkinabè a un avenir ?

DT : Oui ! Le cinéma burkinabè a bien un avenir. Je dis cela parce qu’on a créé le Fonds de Développement Culturel et Touristique (FDCT) qui accompagne les artistes dans leur projets. J’ai vu des structures à Bobo et à Ouaga qui ont bénéficié des subventions dans ce cadre pour former des jeunes en production, réalisation, technique de montage, etc… Il le font également dans les régions et c’est vraiment une très bonne chose. Ce qui manque peut-être c’est la vision à long terme pour faire de l’industrie cinématographique burkinabè une réalité. On a déjà une grande base qui est un acquis, il ne nous reste qu’à s’appuyer sur cette base pour rebondir plus que les autres. Pour ça, il faut qu’on ait des hommes de culture qui ont une vision pour faire avancer les choses.

ICF : Pouvons-nous avoir une idée de vos projets futurs ?

DT : J’ai des scenario à ma disposition qui attendent d’être réalisés. Mais actuellement, je suis entrain d’accompagner un jeune comme consultant dans la réalisation d’un film. La logique du cinéma voudrait qu’on débute par un court-métrage mais ce dernier est venu me voir avec son scénario long métrage. J’ai lu le scénario et j’étais très content du travail donc je suis entrain de l’accompagner dans la réalisation. Mais j’avoue que c’est un rendez-vous du donner et du recevoir parce que j’ai beaucoup appris avec lui.

ICF : Nous sommes au terme de notre entretien, quel est votre mot de fin ?

En tant que doyen, j’ai pleinement vécu ma vie d’artiste. Je suis très satisfait de ce que j’ai fait et reçu. Même si on est souvent incompris à cause de notre âge et de notre expérience, quand on parle on nous écoute. Ce que nous devons donc faire, c’est faire profiter nos échecs aux jeunes talents afin que ce soit un acquis très bénéfique pour eux. La réalité c’est la loi, la vérité c’est la culture.

Interview réalisée par Jérôme (stagiaire)

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