François Yaméogo, connu sous le nom François 1er, est un créateur de mode burkinabè. A la tête d’une semi-industrielle basée au secteur 10 de Koudougou, il fait la fierté de la nation burkinabè, voire du continent africain. Le 12 septembre 2021, il s’est prêté à nos questions dans l’enceinte de son unité. François 1er parle, au cours de cet entretien, de sa distinction au prix africain de mérite et de l’excellence Kigali 2021 ainsi que de la vie de son industrie.
Infos Culture du Faso (I C F) : vous êtes à la tête d’une semi-industrielle qui produit le Faso Danfani, parlez-nous du début de cette initiative
François 1er : j’ai été styliste-modéliste et j’étais déjà dans l’industrie en France. Après j’ai travaillé comme responsable avant de créer ma marque. Donc l’industrie, c’est mon domaine, je me retrouve bien dans ce domaine. J’ai une structure de prêt-à-porter et des chemises sur mesure à Ouagadougou au quartier Paspanga. Là-bas, j’étais connu comme créateur de mode. J’ai voulu aller un peu plus loin en disant qu’on ne va pas rester en tant que créateur, il faut aller vers l’industrie. Comme j’ai travaillé dans l’industrie en France, c’est là qu’est venue l’idée de créer une semi-industrielle. Une semi-industrielle où il fallait avoir toute une chaîne de valeur : une section tissage, une section teinture, une section couture, une section recherche et une section accessoire. L’idée est venue qu’il me faut être autonome, avoir de la matière première propre à moi.
I C F : Combien de personnes employez-vous dans cette industrie ?
François 1er : Actuellement, j’ai presque 50 personnes en plein temps. Il y a des contractuels en majorité des femmes. J’ai aussi des employés indirects ; c’est une association que j’ai mise en place logée dans mon unité qui travaille pour d’autres personnes et pour moi. Le nombre d’employés tourne autour de 70 personnes mais on ne fait que progresser ; chaque année on recrute. Il y a aussi des stagiaires, des élèves de l’école polytechnique de textile et ceux de l’université Norbert Zongo. Ils sont une dizaine qui viennent pendant les vacances pour des stages d’entreprise.
I C F : qu’est-ce qui fait votre différence ?
François 1er : ma différence est que j’ai beaucoup évolué dans le prêt-à-porter, la conception et la recherche des produits vendables. Dans le prêt-à-porter, il y a des règles et des normes. Les normes de modèle, de production et il faut que le produit soit ciblé, connaître le client auquel il est destiné. Il y a des normes de taille. Ma particularité est que je travaille avec la matière première 100% coton et beaucoup de créateurs font le mélange. La deuxième particularité est que toute la chaîne de valeur est respectée dans mes produits. Chez moi, le produit est fait avec un respect environnemental et une certification bio.
I C F : comment se passe la collaboration avec les professionnels du textile ?
François 1er : je collabore avec tout le monde. Je viens de séjourner dans six régions du Burkina pour former les jeunes. Je partage mon expérience. Je suis aussi vice-président de la Confédération coton textile.
I C F : Votre mérite sera récompensé à Kigali, au Rwanda où vous recevrez le prix africain du mérite et de l’excellence, comment avez-vous accueilli cette information ?
François 1er : ils m’ont appelé disant qu’à travers mon travail, la vision, l’engagement, le patriotisme économique, le développement, je recevrai une distinction. C’est une structure composée de plusieurs journalistes africains qui estimaient que ce que je fais, c’est un engagement, c’est une vision de Thomas Sankara, une vision de l’Afrique toute entière et que toute l’Afrique entière me regarde. Cela fait des années qu’ils me suivent et ils sont prêts à me donner un prix.
I C F : comment appréciez cette distinction ?
François 1er : c’est bien d’être honoré. C’est vrai qu’on dit souvent qu’on n’est pas prophète chez soi. Mais je pense que j’ai été prophète chez moi parce que j’ai été distingué au Burkina. J’ai été décoré chevalier de l’ordre de mérite de l’étalon.
I C F : quels sont les défis de votre industrie actuellement ?
François 1er : ce que je fais, c’est comme une pépinière, on plante, il faut arroser, il faut entretenir pour qu’elle grandisse. Donc avec une semi-industrielle qui emploie 50 personnes, il faut que dans deux ou trois ans on arrive à 100. Il faut qu’on puisse avoir des produits exportables, améliorer la qualité et qu’on puisse dire que la nouvelle génération s’engage. Mon défi est que hors du Burkina, on puisse avoir des produits vendables.
I C F : pour relever ces défis, quels sont les obstacles qu’il faille lever ?
François 1er : pour parvenir à cela, il faut un accompagnement, un soutien. Pour qu’on puisse ouvrir le marché de la mode et se développer, nous avons besoin de subventions pour nous permettre de développer la création, d’aller vers les autres, de participer à des salons à l’étranger, permettre aussi de former des gens qualifiés qui puissent nous seconder, faire la promotion, la visibilité de cette mode et de l’imposer au maximum. Avec le coronavirus et avec le monde international, tout est au ralenti ; il n’y a pas de marché en ce moment et le retour d’investissement est lent. Ce sont des complications mais le plus important, c’est la santé. Quand on a la santé, une bonne équipe, quand on est soudé, on croit, on a une conviction, de la passion, quand on aime ce qu’on fait on trouve toujours la solution.
I C F : Quel conseil avez-vous à l’endroit des jeunes qui veulent vous emboiter le pas ?
François 1er : c’est la passion, l’honnêteté. Il faut bien apprendre, être un professionnel. Il faut aussi avoir la culture, l’éducation financière. Avoir une culture d’entreprise, la gestion et l’organisation. Les jeunes ont une chance parce qu’ils ont des modèles. Beaucoup sont allés à l’école et il y a l’internet qui offre des outils de recherche et de créativité. Les jeunes qui veulent aborder ce métier ont les armes qu’il faut.
I C F : quel est votre appel à l’endroit des décideurs politiques en particulier le ministère d’industrie, du commerce et de l’artisanat ?
François 1er : nous devons comprendre que le développement de l’Afrique passera toujours par la transformation locale. Il n’y a pas d’autres alternatives. Nous avons le coton. Travaillons, mettons les moyens pour qu’on puisse transformer plus nos produits locaux et exporter moins le coton à l’extérieur. Je pense que les décideurs sont conscients de cela. C’est peut-être une question de priorité budgétaire. Et pour cela, il y a des initiatives qui se mettent place. Le SICOT a été initié pour répondre à ce besoin. Mais je réitère encore que notre avenir sera la transformation locale. Dans tous les pays du monde le développement est passé par le textile et la métallurgie. Nous avons la chance d’avoir le coton.
Demba Ka BARRY