De son Passoré natal jusqu’à Ouagadougou, Toudeba Bobellé est parvenu à se forger une forte et riche carrière dans le domaine des arts de la scène. Conteur de profession, il excelle également dans le théâtre en tant que comédien mais aussi scénographe. Dans un entretien qu’il nous a accordé, le coordonnateur du Collectif des Artistes Paroliers (CAP) et actuel directeur de la Compagnie théâtrale Art en Intersection, revient sur son parcours, son actualité mais aussi sur sa vision à travers le conte.
Infos Culture du Faso (ICF): Dites-nous qui est Toudeba Bobellé
Toudeba: Comme vous l’avez dit, je me nomme Toudeba Bobellé; je suis originaire de la province du Passoré dans la partie Nord du Burkina Faso. Il faut dire que je suis artiste-conteur, comédien, scénographe et par ailleurs auteur d’un livre de conte intitulé « Le rêve de mère hyène ». Et en plus d’être le coordonnateur du CAP, directeur de la Compagnie théâtrale Art en Intersection depuis le 16 août dernier, je suis également membre de la compagnie Vouka et membre du collège des Récréatrâles chargé du volet jeune public. J’ai été reconnu Baobab d’or du théâtre africain avec agrafe artiste comédien et arts apparentés, un certificat de reconnaissance de l’Académie du théâtre pour le développement (ATPD) attribué aux acteurs du monde de la scène.
ICF: En tant que conteur, comment définissez-vous le conte ?
Toudeba: pour moi, le conte, c’est une vie. C’est une profession, un partage, un moment de rencontre. C’est aussi la société. Et donc, je pourrai le définir comme l’art de partager, de raconter la société.
ICF: Alors dites-nous comment commence votre histoire avec le conte ?
Toudeba: Quand j’étais encore enfant au village, il y avait une cérémonie qui se faisait en famille. Et à cette occasion, la grande famille se réunissait. Il y a ceux qui étaient chargés d’officier des rituels et il y a ceux-là qui étaient là simplement parce qu’il s’agissait d’une rencontre familiale. Et c’était un cadre pour les uns et les autres d’échanger, de racontage de toutes sortes de paroles : contes devinettes, proverbes, paraboles, aventures, anecdotes,… Et personnellement étant enfant, c’est ce moment-là qui m’intéressait plus. C’est comme ça que j’ai été en contact avec le conte, jusqu’à ce que ça s’estompe au moment où j’ai commencé à aller à l’école. Et en 1997, je suis arrivé à la compagnie Les Merveilles où j’ai rencontré Patrice Kaboré. Là, où j’ai commencé le théâtre et nous avons fait des créations (des pièces de sensibilisation).
Autour des années 97-98, il y a eu un projet intitulé « Je suis enfant mais j’ai aussi mes droits » où il fallait des narrateurs. Je me suis donc porté volontaire pour conter des histoires. Après, il y a eu également le projet de Casting Sud intitulé « Milaloza » de Georgette Paré où j’ai été retenu avec d’autres conteurs comediens comme Son Excellence Gérard Ouedraogo, François Moïse Bamba, Amidou Sawadogo et bien d’autres. Il s’agissait d’un spectacle de conte. Et c’est là que j’ai rencontré Abakar Adam Abaye, un conteur tchadien qui était à Ouagadougou et qui organisait des ateliers de conte tous les mardi au Théâtre le Roseau. J’ai donc commencé à y participer avant de compléter par des formations et des stages au Festival Yeleen à Bobo-Dioulasso. C’est comme ça que je découvre le conte en tant que pratique artistique. Voila comment je suis arrivé au conte.
ICF: Autant de rencontres, mais à quel moment le déclic est venu d’en faire un métier ?
Toudeba: En vrai, le déclic est venu après le projet « Milaloza » en ce sens que j’ai commencé à rencontrer de grands conteurs au Festival Yeleen comme Abakar Adam Abbaye, Taxi conteur, Assane Kassi Kouyaté, Pierre Rosat, Ludovic Soliman, qui m’ont beaucoup inspiré. La rencontre avec ces monuments du milieu a déclenché en moi l’accomplissement de quelque chose qui m’a toujours passionné, celui de faire du conte un métier même si à cette époque je ne pouvais pas tout abandonner pour m’y consacrer uniquement.
ICF: Parlez-nous de votre parcours ?
Toudeba: En fait, de 2000 jusqu’en 2005, c’était un moment de formation et de recherches, parsemé aussi d’incertitudes. Substantiellement, il y avait la Nuit du conte à la Compagnie Le roseau, mais aussi à Gounghin dans lesquels je racontais chaque semaine. J’ai participé à des projets comme le « Souffle des ancêtres ». C’était une époque où on ne pouvait pas d’abord initier de projets ; les gens organisaient donc des spectacles et nous faisaient appel pour y participer. Par exemple, j’ai joué dans « Souffle des ancêtres » qui nous permis de faire une tournée ; le Festival Anséko à Tougan. Nous avons beaucoup joué dans les établissements scolaires et centres associatifs. Il faut également préciser que jusqu’en 2003, j’ai pas été à l’extérieur. J’étais plus animé à ce moment de me faire un encrage national, endogène. En témoigne le fait que j’ai décliné plusieurs fois des projets pour l’extérieur qui pour la plupart ne m’arrangeaient pas en terme de contrat.
C’est à partir de 2006, que j’ai commencé à m’intéresser à la scénographie. En fait, je revenais d’une tournée avec le Théâtre Folle Pensée de Roland fichet, une compagnie européenne et je devais m’inscrire au jeu d’acteur aux Récréatrâles. Une fois arrivé, je n’ai pas pu parce-qu’il n’y avait plus de place disponible et c’est ainsi que Papa Kouyaté m’a donc conseillé de m’inscrire en scénographie, chose qui me permettra en plus d’être un comédien, de savoir un tout petit peu le fonctionnement de la scénographie. Par la suite, je me suis rendu compte que je ne me débrouillais pas mal et quand j’ai pas de parties de conte à donner, je faisais la scénographie. Cela dit, après les récréatrales, j’ai eu à participer à d’autres projets en tant qu’assistant auprès de Papa Kouyate dans des spectacles comme Roberto Zouko, N’dokela. C’est également aux Récréâtrales que j’ai rencontré les scénographes Dao Dada, Issa Ouédraogo, Yssouf Yaguibou, Ilboudo Saidou, qui par la suite en 2009, nous avons ensemble créé Face-O-Scéno, une association de scénographes et de techniciens.
Puis vient le jour où je rencontre un grand ami du nom de Abdoulaye Ouédraogo qui m’a proposé de le remplacer dans un centre en tant qu’animateur culturel; et que cela me permettra d’avoir des revenus en plus des métiers des arts qui me passionnent. C’était au Centre féminin d’initiation et d’apprentissage aux métiers (CFIAM). Je devais donc faire la promotion du centre mais aussi celle des métiers non traditionnels. J’organisais donc les semaines culturelles et montais des sketches. Je créais aussi des activités artistiques afin de permettre aux pensionnaires de se divertir. J’y ai donc fait quatre ans. En somme, tout cela était des moments de renforcement de capacités. A noter que cela s’est poursuivi encore par des formations du côté du Carrefour international de théâtre de Ouagadougou (CITO).
A partir de 2015, il y a eu « Ziri-ziri » au Centre Culturel Français où on partait conter; il y a eu le Festival Émergence; mais aussi d’autres projets à l’extérieur dont deux en Europe et le reste en Afrique.
Les projets personnels ont véritablement commencé avec « Les contes du Kamabanga », des contes que j’ai entendu au village et que j’ai concocté pour en faire un spectacle. Je l’ai joué au CITO mais aussi du côté du Mali et du Niger. Il y a également mon spectacle de conte « Tambi » que j’ai joué dans beaucoup de festivals, etc. Le dernier en date, c’est « Un soir », créé cette année et joué le 19 mars dernier au Goethe-Institut. L’un des plus important parmi mes projets, c’est « Conte à rebours garga ».
ICF: Parlez-nous en alors.
Toudeba: « Conte à rebours garga » est un projet que j’ai mis en place depuis 2013. Il se présente sous forme d’émission composée de deux parties : la première est intitulée « Un univers pour un conteur » et la seconde dénommée « Une scène pour un conteur ». Au début, je la voulais une émission télé pour servir de tremplin aux gens de découvrir les conteurs et leurs œuvres. Le conte est un outil universel. L’idée, c’est de professionnaliser davantage le secteur du conte et fidéliser un public.
ICF: Votre carrière, c’est aussi dans le cadre associatif. C’est quoi donc l’idée derrière le CAP ?
Toudeba: Le CAP est né dans un souci de fédérer les forces et capacités afin de porter haut le conte au Burkina Faso en vue de lui donner plus de visibilité. Dans le paysage artistique, le conte est le « parent-pauvre » en ce sens qu’on trouve peu d’événements spécifiquement pour le conte. Et si nous voulons changer les choses, il faille créer une dynamique autour de ce métier, des possibilités de transmission. Et c’est dans cette dynamique que s’inscrit le CAP. A travers donc ce collectif, nous avons mis en place les ateliers Échos du temps qui se déroulent chaque mois d’août, et consacrés à deux types de formations dont l’initiation et le renforcement des capacités. Et pour accompagner la formation, nous avons mis en place les soirées de contes Échos du temps qui se déroulent tous les derniers dimanches du mois du côté de l’Espace Grâce Théâtre. Le collectif est également auteur d’un album de conte.
Avant le CAP, je suis membre fondateur de la compagnie Art en Intersection, créée en avril 2008, dont je suis directeur depuis le 16 août 2022. Avec cette association artistique, nous avons fait des créations artistiques de grande facture dont, « Bléou jungle », « Combat de nègre et de chien », Antigone », « Parachutage », « Conter pour la cohésion sociale et la paix », et la dernière création « Beoognéré, l’espoir de la savane » qui est programmé aux Récréatrâles 2022
ICF: Est-ce que vous vous inscrivez également dans le cadre du conte musicalisé. Et qu’en est-il de celui théâtralisé ?
Toudeba: Dans nos sociétés traditionnelles, il y a ceux-là qui racontent sans se faire accompagner par des instruments, et par contre d’autres qui se font accompagner. Et quand on sait ce que la musique peut apporter à l’oreille, il faille aussi ajouter de la terre à la terre en ce sens que nous sommes dans un monde évolutif. Donc je parlerais pas de conte musicalisé, mais plutôt de conte tout court. Aussi, nous sommes des artistes burkinabè, c’est vai; mais nous sommes aussi à la conquête d’un « marché », tout en gardant l’utilité première du conte.
Pareil pour ce qui est de l’appellation « conte théâtralisé ». En fait, le théâtre est aussi raconté mais avec des rôles affectés à des personnages. Donc soit c’est du conte, soit c’est du théâtre. Et chacun à sa forme d’expression. Mais personnellement, j’ai peu adapté le conte au théâtre. Bien que j’aie souvent fait appel à d’autres disciplines dans certaines de mes créations, mais ça reste du conte.
ICF: Au-delà des actions que vous posez, personnellement et à travers le CAP, qu’est-ce qui doit être fait pour mieux promouvoir le conte dans nos sociétés ?
Toudeba: Ce qui doit être fait dépasse le cadre du projet, c’est quelque chose d’éducationnel car c’est depuis la base. En fait, on est beaucoup plus impressionné par ce qui vient d’ailleurs que de ce que nous avons. C’est pour dire que les artistes accomplissent déjà beaucoup mais il faut que cela soit soutenu par un programme. Je dirais même que le Burkina a plus que jamais besoin du conte, au vu de la situation qu’il traverse depuis quelques années. Le conte véhicule des valeurs cardinales et endogènes à même de nous aider à résoudre les problèmes qui nuisent à notre vivre-ensemble.
ICF: C’est quoi l’actualité de Toudeba ?
Toudeba: Actuellement, je suis en pleine enregistrement d’un album de conte qui verra sans doute le jour en décembre prochain. C’est une œuvre de conte uniquement en langue nationale mooré. Aussi avec le CAP, nous sommes entrain de préparer le démarrage de la saison 3 des soirées Échos du temps qui débutent le 25 septembre prochain. Quant à la Compagnie Art en Intersection, nous sommes sur l’organisation de la prochaine soirée « Conte à rebours garga » qui va se dérouler le 16 septembre prochain au Goethe-Institut. A noter également que je suis sous contrat avec les Recréatrales pour la 12 édition, spécifiquement sur le volet jeune public. Il est donc prévu des ateliers et programmations jeune public. Les scénographies ont d’ores-et-déjà commencé le lundi dernier. La résidence pour la plateforme se tiendra du 29 octobre au 5 novembre.
ICF: De façon globale, que retenez-vous de cette vingtaine d’années de parcours ?
Toudeba: En vrai, je suis d’une part content de ce parcours parce-que j’arrive à accomplir des choses, à former des gens et me faire une place dans le monde des arts de la scène. Mais d’autre part, je ne suis pas pleinement satisfait parce que j’aspire encore accomplir beaucoup de choses et j’ai encore de belles années pour le faire.
ICF: A l’étape actuelle de votre carrière, qu’est-ce qui vous tient réellement à cœur ?
Toudeba: Déjà, c’est de rendre international mon projet « Conte à rebours garga ». C’est vrai que j’ai déjà eu trois conteurs issus de l’extérieur (un Béninois, un Français et un Belge), mais le premier était déjà au Burkina Faso et les deux devaient venir pour d’autres projets et j’en ai profité pour coordonner. Ce que je voudrais donc, c’est pouvoir faire une ouverture aussi sur des conteurs de l’extérieur pour créer des rencontres d’échanges à travers ce projet.
Cependant, le plus gros défi est que ce projet soit diffusé. Sans la diffusion, tout ce qu’on fera passera inaperçu. Et c’est ce qui manque vraiment au conte, une réelle médiatisation.
ICF: Nous sommes à la fin de notre entretien, quel est votre mot de fin ?
Toudeba: Je demanderai à ceux qui aiment vraiment le conte, d’aller voir les spectacles de conte car nous en avons de nos jours, à l’image des soirées Échos du temps, de « conte à rebours ou encore », la Grande nuit du conte, etc. Je profite pour réitérer mon appel aux différents médias de nous accompagner dans la médiatisation et la diffusion de nos œuvres, parce-que des talents, nous en avons au Burkina. Et aux promoteurs culturels, je leur demande d’inclure également le conte dans leurs évènements culturels. En effet, le conte est un art caméléon, il prend la couleur du moment et s’adapte à tout. Avant de conclure, j’aimerais vous adresser mes sincères remerciements pour cette fenêtre que vous m’offrez pour parler de moi. Humblement merci à vous !
Interview réalisée par Boukari OUÉDRAOGO