Après 30 ans d’absence, Drissa Touré fait son retour au cinéma avec Mousso Fariman, qu’il co-réalise avec Stéphane Mbanga. Présenté en première mondiale à l’IFFR, le film explore les contradictions de la société burkinabè tout en mettant en avant la vie des femmes. Ce retour prouve que, même après plusieurs décennies, Touré garde toute sa maîtrise du cinéma. Dans cette interview, Drissa Touré parle de son parcours, de son film Mousso Fariman, et des défis du cinéma burkinabé, tout en partageant son expérience de mentor auprès des jeunes cinéastes.

I.C.F : Pouvez-vous vous présenter et nous parler une fois de plus de votre parcours dans le cinéma ? Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir ce métier ?
Drissa Touré : Je suis Drissa Touré, de Bobo-Dioulasso, né à Banfora le 24 octobre 1952. Je suis père de trois filles. Il faut dire que je suis un fruit du FESPACO. Lors des festivals, surtout ceux dédiés au cinéma, je conduisais les réalisateurs dans mon taxi. Cela m’a permis d’échanger avec eux et de suivre des films. Un jour, je me suis dit : Moi aussi, je veux faire un film ! Malgré mon niveau scolaire limité (CM2), j’ai cherché des moyens d’exprimer ma créativité.
I.C.F : Vous avez présenté votre film »Mousso Fariman » au FESPACO 2025, mais il n’a pas été retenu. Comment avez-vous réagi à cela ?
Drissa Touré : Avec l’expérience, ne pas être retenu dans un festival auquel on voulait participer peut être frustrant. Mais avec du recul, je vois que c’est aussi une question de rigueur. Après 25 ans sans faire de films, j’ai voulu montrer aux jeunes qu’il ne faut jamais se décourager. On peut tomber, mais on peut aussi se relever, comme l’a dit Nelson Mandela. Beaucoup de jeunes sont découragés, mais mon exemple peut les aider à persévérer.

I.C.F : Dans vos films, vous abordez souvent des sujets de société. Quels messages souhaitez-vous faire passer ?
Drissa Touré : Un film peut amener une personne à changer de comportement, car il est pensé et réalisé par quelqu’un qui a un message à transmettre. Je préfère faire du cinéma d’auteur, car cela me permet d’aborder tous les sujets sans heurter les sensibilités. Les gens n’aiment pas toujours qu’on leur fasse la morale, mais à travers mes films, je cherche à susciter la réflexion.
I.C.F : Selon vous, quels sont les plus grands défis du cinéma au Burkina Faso ?
Drissa Touré : Il y avait tout ici au Burkina Faso. L’INAFEC (Institut Africain du Cinéma) était là avec des professeurs africains et français qui ont formé de grands cinéastes. Nous avions le CIDC Consortium, le Cin-Afrique, un studio bien équipé, et une direction du cinéma qui comptait d’excellents techniciens. L’État soutenait aussi le secteur. Malheureusement, toutes ces structures ont fermé. Aujourd’hui, nous avons du talent, mais plus d’accompagnement. C’est le plus gros problème du cinéma burkinabè.

I.C.F : Vous travaillez avec de jeunes cinéastes. Pourquoi est-ce important pour vous ?
Drissa Touré : J’ai réalisé et coproduit Mousso Fariman avec un jeune, Stéphane Bangua. J’ai vu en lui une vraie passion pour le cinéma. Je ne l’ai pas pris comme simple assistant, mais comme co-réalisateur. Il est essentiel d’assurer la relève en intégrant les jeunes dans le processus de création. L’ancienne génération apprend aussi de la nouvelle, c’est un échange enrichissant.
I.C.F : Le cinéma africain a du talent, mais rencontre de nombreux obstacles. Comment peut-il gagner en reconnaissance internationale ?
Drissa Touré : Il faut de la créativité et de l’innovation, mais dans un cadre culturel. Si nous faisons uniquement du cinéma moderne, nous n’apportons rien de nouveau. Pour que notre cinéma voyage, il doit refléter notre identité, nos réalités, notre essence africaine.

I.C.F : Pouvez-vous nous résumer votre film Mousso Fariman ?
Drissa Touré : Mousso Fariman, c’est le pouvoir. Le chef de famille Dozo part en brousse pour un rituel. L’amie de sa fille lui manque de respect, alors il l’envoûte pour la punir. Mais finalement, il tombe sous son charme et l’épouse. À son tour, elle l’envoûte à travers leurs rapports intimes, ce qui provoque un grand bouleversement dans la famille.
I.C.F : Il y a souvent un manque d’infrastructures pour le cinéma au Burkina. Que faudrait-il pour améliorer la situation ?
Drissa Touré : Il faut que tous les acteurs du secteur s’unissent, échangent leurs idées et définissent une vision commune. C’est ainsi que nous pourrons bâtir quelque chose de solide, en nous inspirant des modèles internationaux.

I.C.F : Le numérique et la technologie ont transformé le cinéma. Comment cela a-t-il influencé votre manière de travailler ?
Drissa Touré : Aujourd’hui, grâce au numérique, nous avons accès au rendu en Super 35, offrant une qualité d’image remarquable. L’intelligence artificielle vient renforcer cette évolution en apportant une précision et une excellence inédites dans le processus cinématographique.
I.C.F : Quels thèmes aimeriez-vous explorer dans vos futurs projets ?
Drissa Touré : Ma participation au Festival de Rotterdam a confirmé mon talent et validé ma démarche artistique, que je qualifie désormais de « cinéma retrouvé », un concept qui deviendra mon label. Le partage du mythe du poisson sacré du marigot Houet s’inscrit dans une démarche spirituelle et culturelle, une quête de sens qui transcende les croyances et les religions. Cette approche trouve un écho dans l’histoire même de Rotterdam. Son nom vient de ‘Rotte’, une rivière locale autour de laquelle la ville s’est construite vers le XIIIᵉ siècle, et ‘Dam’, qui signifie barrage en néerlandais. Littéralement, Rotterdam signifie donc ‘le barrage sur la rivière Rotte’, un lieu où vivaient de gros poissons, liés aux récits et aux traditions du passé. Se remémorer ces histoires, c’est renouer avec une mémoire collective, une approche culturelle qui enrichit notre perception du monde et inspire notre créativité.
I.C.F : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes cinéastes burkinabè ?
Drissa Touré : Aujourd’hui, avec l’essor du numérique et des formations en ligne, il est possible de se perfectionner depuis chez soi, en restant connecté. Ce métier demande beaucoup d’investissement financier, mais il ne faut pas venir dans le cinéma uniquement pour l’argent. Il faut avant tout se former. Que ce soit pour être acteur ou réalisateur, la formation est essentielle. Ne venant pas d’une école de cinéma, j’ai dû intégrer le laboratoire Telcipro, spécialisé dans le traitement de pellicule, afin de mieux comprendre les variations de température de couleur. Cette immersion m’a permis d’acquérir une maîtrise technique .

I.C.F : Que souhaitez-vous dire aux autorités burkinabè ?
Drissa Touré : Il y a déjà des avancées. Cette année, j’ai vu la création de la Fédération des Festivals. Il faut renforcer ces initiatives et être unis, notamment avec l’AES. Si nous sommes ensemble, nous pourrons alléger les charges et simplifier l’adhésion aux différentes structures.
I.C.F : Vous avez participé à plusieurs éditions du FESPACO. Qu’avez-vous remarqué de nouveau cette année ?
Drissa Touré : Avant, il y avait moins de rigueur et d’organisation. Mais cette année, le jeune qui dirige le FESPACO a une grande expérience et gère bien l’événement. On peut même acheter des billets de cinéma en ligne, c’est une belle avancée.
I.C.F : Quel sentiment vous anime par rapport au FESPACO 2025 ?
Drissa Touré : Quand on aime la vie, on va au cinéma. Il faut créer plus de salles de projection. J’ai vu des sites bondés de monde, avec de la musique et du commerce autour, c’est magnifique.
I.C.F : Un dernier mot ?
Drissa Touré : Le FESPACO est devenu le numéro 1 en Afrique. Il est désormais international et c’est une immense fierté pour nous.
Bio filmographie de Drissa Touré 🇧🇫🇧🇫🇧🇫👇👇👇
Interview réalisée par Parfait Fabrice SAWADOGO