« POUR UNE ANTHROPOLOGIE DE LA CRÉATION MUSICALE: clip-vidéo, identité culturelle et développement », c’est le titre de l’ouvrage de Docteur Souleymane Ganou. Il s’agit d’un essai qui met en évidence la part des productions artistiques, en l’occurrence le clip vidéo, dans la promotion des valeurs identitaires et dans le développement. Au cours d’une interview qu’il a bien voulu nous accorder, Docteur Ganou revient sur l’importante d’un tel ouvrage pour l’industrie musicale africaine en général et celle burkinabè en particulier.
Infos Culture du Faso (ICF): Qui est Docteur Souleymane Ganou pour nos lecteurs ?
Dr Ganou : Je suis enseignant-chercheur, Maître de conférences en Etudes culturelles africaines. J’enseigne au département des Lettres modernes à l’Université Joseph ki Zerbo de Ouagadougou. Mes recherches portent sur les pratiques artistiques et culturelles dans leurs aspects traditionnels que modernes. Ce champ de recherche prend en compte la musique, le cinéma, la littérature mais aussi les questions épistémologiques. Au niveau national, je suis membre du Laboratoire Littératures, Arts, Espaces, et Sociétés (LLAES) de l’Université Joseph ki Zerbo. Je suis aussi membre du Laboratoire Langues, Arts et Communication de l’Institut des Sciences des Sociétés.
Sur le plan international, je suis membre du Conseil International d’Etudes Francophones (CIEF) et chercheur associé du Centre Figura de l’Université du Québec à Montréal (CANADA).
ICF: D’ou vient l’idée d’écrire cet ouvrage ?
Dr Ganou: C’est ma posture d’enseignant-chercheur qui m’a inspirée. J’ai aussi appartenu à un groupe artistique appelé « Symbioz ». Nous avons fait un album en 2008. Il faut dire que plusieurs aspects m’ont marqué dans la musique africaine de façon générale ; je me suis engagé à les questionner et cela a abouti à la publication de cet ouvrage.
ICF: De quoi parle réellement votre ouvrage POUR ANTHROPOLOGIE DE LA CRÉATION MUSICALE?
Dr Ganou: je montre dans cet ouvrage que le succès d’un artiste passe par le clip vidéo. C’est le clip qui va permettre à l’artiste et sa musique d’être connus. Ainsi, un artiste qui fait une musique sans réaliser un clip, à moins de chance d’être connu aujourd’hui. Ensuite, je montre à travers l’ouvrage que la musique est un milieu où l’artiste peut ancrer son identité et faire la promotion de son identité. Je montre également que la musique est un milieu où l’artiste peut faire la promotion du vivre-ensemble, du dialogue social. Il faut le dire, quand il n’y a pas de vivre-ensemble, il n’y a pas de développement. Ce qu’il faut savoir c’est que le développement est social avant d’être économique. Aucun peuple ne s’est développé dans le désordre et le chaos. Enfin, l’ouvrage me permet de montrer l’apport économique de la musique.
ICF: Pour vous, qui est l’artiste dans nos sociétés en vous appuyant sur cet ouvrage ?
Dr Ganou: L’artiste est le porte-voix de la communauté. L’artiste est un créateur qui doit être conscient de la mission et de la responsabilité qu’il a. Sa mission est de défendre les valeurs de sa communauté. Il est libre de créer comme il veut mais doit avoir en conscience la responsabilité qu’il a. L’artiste doit être engagé ; je ne parle pas forcément de l’engagement socio-politique mais un engagement à défendre son identité culturelle et de représenter sa communauté.
ICF: Que vaut un clip-vidéo dans notre société ?
Dr Ganou: Depuis l’apparition du clip Thriller de Michael Jackson, le premier clip réalisé avec un scénario et diffusé en première mondiale par Musique Télévision (MTV ) en 1983 aux Etats Unis d’Amérique, on ne parlera plus de la sortie d’un album , on parlera désormais de la sortie du nouveau clip d’un artiste. MTV a été créée en 1981 pour la diffusion exclusive des clips vidéo. À partir de là, le clip sera le passage obligé de tout artiste qui veut se faire connaître.
ICF: Vous parlez de la danse djongo, le kòra ( le tambour calebasse chez les Kasena), dans votre ouvrage. Que représentent ces outils artistiques dans notre sociétés ?
Dr Ganou : La danse djongo, les sonorités du kòra sont des pratiques qui font partis de notre identité culturelle et artistique. De façon générale, en Afrique, chaque communauté a pratiquement sa danse. Le « warba » des Mosse se danse toujours aujourd’hui. On y voit une solidarité générationnelle. Même s’il y a eu des innovations cela ne peut pas dénaturer fondamentalement la danse du warba. Le kòra chez les Kasena correspond au « bendré » chez les Moosés; cela montre une similarité des instruments chez les communautés au Burkina Faso.
ICF: Qu’est-ce que vous envisagez à travers cette œuvre ?
Dr Ganou: Cet ouvrage est le résultat de mes recherches que j’ai présentées au Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES) pour pouvoir accéder au grade de Maître de conférence. L’ouvrage a bénéficié d’un soutien du ministère en charge de la culture. L’ouvrage me permet de faire la promotion de la culture burkinabè et de participer à la protection de nos valeurs identitaires. Il permet aussi d’appeler les artistes à porter un regard sur leurs cultures.
ICF: Quel sera l’apport de l’ouvrage à la culture burkinabè, notamment la musique ?
Dr Ganou: Déjà, m’interviewer est une preuve que l’ouvrage apporte à la culture, car vous-même vous représentez une valeur de la culture en permettant à celle-ci d’être diffusée. Et en tant que burkinabè, je pense que l’ouvrage enrichit le patrimoine culturel du pays. J’en ai déjà distribué en grand nombre ici au Burkina Faso tout comme à l’extérieur.
ICF: Êtes-vous satisfait de l’évolution de la musique burkinabè aujourd’hui ?
Dr Ganou: Du côté de la qualité de l’enregistrement sonore et de la réalisation des vidéos clips, je suis satisfait. L’un des problèmes est que nombre d’artistes et pas des moindres s’inscrivent dans l’imitation. Ils ne se cassent pas la tête pour créer leurs propres rythmes. Cela n’a rien à voir avec l’effort que font certains artistes burkinabè à l’image de Bil Aka Kora, Smarty, Alif Naaba pour la qualité de leurs œuvres.
ICF: Avez-vous des doléance à l’endroit de l’État au profit de la culture burkinabè ?
Dr Ganou: Ce que je demanderais, c’est de joindre l’acte à la parole. Dans le discours des décideurs, il n’est pas rare d’entendre que la culture est le fondement du développement. Mais dans la pratique c’est tout autre ; il n’y a pratiquement aucun égard pour la culture. Allez-y voir le budget annuel alloué à la culture et vous allez comprendre de quoi je parle. Les autorités elles-mêmes ne croient pas à la culture et à son apport au développement. Tous les pays qui ont pu se développer, c’est en grande partie grâce à la culture.
ICF: Nous sommes à la fin de notre entretien, quel est votre mot de fin ?
Dr Ganou: Je remercie Infos Culture du Faso pour l’intérêt. Je souhaite un véritable soutien à l’endroit de la culture. C’est-à-dire penser à mettre en place un véritable écosystème où tous les acteurs pourront apporter leurs pierres à l’édifice commun.
Interview réalisée par Modou TRAORÉ (Stagiaire)