sam 20 avril 2024

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DANSE ET CHORÉGRAPHIE: « le Burkina est riche de sa jeunesse et de son potentiel culturel.» Salia Sanou

Danseur et chorégraphe, Salia Sanou est sans conteste un génie dans son domaine, très sollicité à travers le monde. Ce troubadour ingénieux dirige le Centre de développement chorégraphique  »la Termitière » (CDT) qui est un lieu dédié à l’art chorégraphique en général. Il a accepté malgré un agenda chargé, de se prêter à nos questions. Allons à la découverte d’un homme affable, humble et plein de ressources, surtout amoureux de son travail et fin éducateur.

Infos Culture du Faso (IFC): Monsieur Salia Sanou, dites nous comment s’est faite la transition entre la police et la chorégraphie ?

Salia Sanou (SS): Il y a eu un tournant dans ma vie qui m’a emmené a quitté mes fonctions d’officier de police pour la carrière d’artiste. Je crois que le virage à 90º c’est opéré de façon naturelle par des rencontres avec l’autre, notamment avec la chorégraphe Françoise Mathilde Monnier du Centre Chorégraphique National de Montpellier.
Dans la vie, tu rencontres des personnes et une de ces rencontres te fait basculer de l’autre côté. Mais disons que j’étais passionné de la danse depuis l’enfance au village à Léguéma, je faisais parti d’une célèbre troupe de danse, Kouledafourou à Bobo-Dioulasso et ensuite la maison des jeunes et de la culture de Ouagadougou. J’aimais la danse et c’est quelque chose d’inée.  Quand les copains partaient sur le plateau de sport ou de football, moi je courais dans les salles de danse. Je crois que la passion à pris le pas sur le reste et aujourd’hui je ne regrette pas du tout d’avoir fait ce choix d’être artiste danseur et chorégraphe.

ICF : Danseur-chorégraphe, comment arrivez-vous à exercer tout ceci quand on sait que vos services sont sollicités un peu partout dans le monde ?

SS : En toute circonstance, il faut s’organiser. Dès lors que j’ai pris l’engagement d’être artiste créateur, je me suis organisé à rechercher les moyens et constituer les équipes pour me faire accompagner dans ce désir. Et aujourd’hui, tout en étant en Europe, en France, à Montpellier, avec la Compagnie  » Salia Sanou / Mouvement Perpétuels  » ; et avec le Centre de Développement Chorégraphique – La Termitière, je m’organise avec les deux équipes pour assoir un fonctionnement en terme administratif et aussi en terme artistique. Quand je réviens au pays, c’est pour me consacrer au projet du CDC-La Termitière, me ressourcer et puis voir ma famille. Et quand je suis en Europe, c’est aussi une autre dimension, les échanges inter-culturels, la rencontre avec l’autre culture. Je cherche toujours l’équilibre entre ce va et vient, comment l’ailleurs peut nourrir ici et ici peut nourrir l’ailleurs.

ICF : D’où est venue l’idée de la création de votre premier Centre de Développement Chorégraphique – La Termitière en Afrique en 2006 avec votre ami Seydou Boro. Comment se porte la Termitière aujourd’hui ?

SS : La Termitière a été créée pour répondre à un besoin de professionnalisation dans le domaine de la danse. Le centre se porte tant bien que mal. Cela fait 16 ans que le lieu est ouvert et on continue de se battre comme tous les acteurs culturels, quand on sait que les moyens dédiés à l’art et à la culture dans notre pays sont très très maigres. On se bat pour préserver ce outil nécessaire et unique en Afrique. J’aime bien le rappeler quand on cite trente centres chorégraphiques à travers le monde, le trentième se trouve au Burkina. Artiste, nous sommes conscients et fiers de cela donc nous nous battons pour maintenir les activités et pour que le lieu soit comme Pacéré Titenga l’a si bien dit que pour que la termitière vive il faut que la terre s’ajoute à la terre. Nous essayons fourmilier, de faire vivre la termitière avec le peu de moyen que nous avons pour rester en vie et en survie parfois.

ICF : L’année passée, nous avons couvert la visite du ministre de la Culture, Abdoul Karim Sango, qui est venu visiter, il y a eu une salle qu’on devait construire, il y a eu la pose de la première pierre, il y a eu des plantations d’arbre. À l’heure actuelle, qu’est ce qui a été fait ?

SS : C’est bien que le ministre soit venu nous rendre visite. Notre tutelle est le ministère de la culture et nous étions très contents de l’accueillir. Il a posé la première pierre d’un bâtiment qui va être la salle dédiée à la pédagogie. Les travaux avancent lentement et sûrement. Nous avons visité aussi le théâtre populaire qui est un lieu construit par Thomas Sankara sous la révolution, aujourd’hui en disgrâce et nous cherchons les possibilités et les moyens financiers pour sa réhabilitation. Nous avons fait une étude architecturale et une faisabilité. Il nous reste juste à avoir l’écoute bienveillante des politiques et des pouvoirs publics pour nous accompagner dans cette ambition de donner un nouveau souffle et revitaliser ce théâtre qui fait 3000 places au coeur de Ouagadougou et lui de redonner son image d’antan. Vous savez, tous les grands musiciens, précurseurs de la musique burkinabè, Jean Claude Bamogo, Issouf Compaoré, Georges Ouedraogo, Cissé Abdoulaye, Tidiane Coulibaly, Jeanne Bicaba, Zougnazagmda, les orchestres nationaux sont passés et ont grandi par là. Quand il y avaient des concerts au Théâtre Populaire Desiré Bonogo, le poumon de la ville s’y battait. Nous avons présenté nos études architecturales et de faisabilité au ministre Sango et aussi à Armand Roland Pierre Beouinde, le Maire de la ville de Ouagadougou.
Jusqu’à nos jours, nous attendons un signe d’intérêt et une réponse. Et surtout nous sommes remontés, nous nous sentons un peu abandonnés avec l’installation par la mairie d’une poubelle géante, un centre de tris d’ordures à ciel ouvert, devant notre porte et en plein milieu des quartiers Samandin et Gounghin, avec pour conséquence l’insalubrité, la pollution atmosphérique qui empêche de respirer sainement et de travailler. Une situation dégradante et intenable pour nous les artistes et à la fois pour tous les riverains.
Notre souhait est que la ville prenne ses responsabilités pour l’assainissement de la zone et du quartier. C’est un cri de coeur.
 
ICF : Vous avez tellement de créations chorégraphiques. Est-ce qu’on peut avoir une idée du nombre de ces œuvres actuellement ?

SS : On peut compter une vingtaine d’œuvres à mon actif. Je dirai que je crée en moyenne une pièce par an et pendant 25 ans. Soit, des projets de créations que je réalise moi-même, soit ce sont des commandes lors des événements d’envergure comme le FESPACO, la Semaine Nationale de la Culture (SNC), ou des commandes par des grandes institutions culturelles à l’international comme le Ballet National du Zimbabwe, le Ballet Atlantique d’Atlanta, le Ballet du Capitole de Toulouse, la ville de Lille, le Festival de Montpellier Danse, le Ballet National de Cuba, l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) , L’Institut des Arts de Californie (CALART, etc…) J’ai le privilège d’être sollicité pour répondre à des demandes d’enseignement, de conférences et de créations à travers le monde.
 
ICF : Comment se porte la danse, la création chorégraphique aujourd’hui au Burkina Faso ?

SS : Je dirai que la création chorégraphique, la danse contemporaine burkinabè se porte plutôt bien. Quand on observe le paysage, à Ouagadougou le CDC – La Termitière, le Grin des Arts Vivants d’Irène Tassembedo, la compagnie Auguste Bienvenue, et à Bobo-Dioulasso il y a l’Espace Ankata de Serge Aimé Coulibaly, les nombreuses jeunes compagnies et association de danse, etc… Le paysage est en effervescence et beaucoup de pays en Afrique nous envient par rapport à ce dynamisme. Mais ce dynamisme n’est pas le fruit du hasard. Il y a eu des pionniers et des personnes comme Drissa Sanou de Kouledafourou, Lassann Congo, Irène Tassembedo, Blandine Yaméogo Moussognouma Kouyaté qui ont donné de leur temps et de leur vie pour enseigner leur savoir et aujourd’hui nous faisons le relai de transmission à la nouvelle génération. On peut dire que l’art chorégraphique se porte bien au Burkina Faso et est bien repéré et reconnu sur le plan international.
 
ICF : Est-ce que le métier nourrit son homme ?

SS : Oui! Tout métier nourrit pleinement son homme et sans hésitation la chorégraphie aussi. Il faut croire à ce que l’on entreprend, être organisé et rigoureux dans le travail. Quand je vois tous les artistes qui sont dans des projets que ce soit avec leur compagnie, les commandes des ministères de l’éducation ou de la santé qui veulent des spectacles de sensibilisation, les programmes d’éducation et de médiation culturelle dans des quartiers et des écoles, des projets de résidence et ou des tournées à l’international, tout cela procure une économie de la danse qui fait vivre de nombreuses familles.
Je suis heureux de voir beaucoup de jeunes que nous avons formés et qui se retrouvent aujourd’hui avec une carrière internationale, que nous pouvons croiser au Japon, aux USA, en France, en Belgique, en Allemagne, au Brésil, en Corée, au Canada… C’est une fierté. Oui j’affirme que la danse nourrit son homme et même très bien.
 
ICF : Quelles sont les difficultés auxquelles vous faites face dans votre métier de chorégraphe ?

SS : Je dirais que nous faisons face à des difficultés de financement .
J’ai une expérience sur les deux rives à savoir, en Europe et en Afrique. Comparaison n’est pas raison mais je pense que nous avons des atouts et un potentiel énorme ici au Burkina et en Afrique.
Notre jeunesse, notre patrimoine culturel, notre histoire, notre savoir-vivre en communauté, nos imaginaires constituent un potentiel énorme. Dans le domaine des arts et de la création (cinéma, danse, théâtre, musique, arts plastiques, musées, monuments, art vestimentaire et culinaire etc… ), il y a de la richesses et de la diversité. Nos réelles difficultés résident dans le manque de moyens financiers appropriés pour accompagner les créateurs et les initiatives de développement des secteurs. Dans d’autres pays dits développés, cette question relève de la souveraineté de l’Etat. Nos constats et analyses montrent bien que les pays qui investissent massivement dans les cultures sont ceux là même qui imposent leur culture et leur vision aux autres. L’exemple du cinéma américain avec Hollywood, et au Nigeria avec Nollywood, ces pays pour ne citer que ces deux ont misé sur l’industrie cinématographique.
Il faudra davantage investir dans la culture parce-que nous avons un potentiel énorme. La culture est au commencement et à la fin de tout.
ICF : Parlez nous de l’impact de la crise sanitaire sur votre activité?

SS : Avant la Covid-19, il y a la crise sécuritaire dans notre pays et dans la sous-région, qui frappait durement le secteur des arts, de la culture et du tourisme.
Beaucoup d’étrangers, d’entrepreneurs, d’investisseur et d’amis venaient visiter notre beau pays et notre culture.
La crise sécuritaire dédoublée d’une crise sanitaire n’a fait qu’aggraver la situation.
Dans notre domaine qui est le théâtre, la danse, la musique, les arts plastiques, nous ressentons un impact réel sur la pratique de notre métier et sur la circulation de nos œuvres.
L’artiste, quand il ne peut plus se déplacer et partager son art , c’est sa mort.
En même temps avec la crise sanitaire, il y a eu aussi de l’imagination avec d’autres outils et comportements, notamment les réseaux sociaux et l’internet qui ont pris un certain relai, permettant ainsi aux artistes de pouvoir exister malgré qu’ils ne pouvaient plus traverser les frontières pour se produire. Au niveau de la danse, le digital est venu atténuer un peu les conséquences de cette crise.
 
ICF : Qu’est-ce que vous préconisez pour valoriser et promouvoir la danse chorégraphique ici au Burkina ?

SS : Nous préconisons qu’il y ait plus d’écoutes et de soutiens des pouvoirs publics. Un accompagnement pour une structuration sur de long temps en termes d’équipement, de formation, de création et de diffusion.
Par exemple, à chaque fois que nous produisons un spectacle, le public très curieux avec une envie de découvrir et de vivre des émotions, est toujours présent.
Quand nous leur expliquons les conditions misérables dans lesquelles sont réalisées le spectacle, les spectateurs sont parfois surpris du manque de moyens effectivement.
Des lieux de vie culturelle comme le Centre de Développement Chorégraphique (CDC – La Termitière), l’Atelier Théâtre Burkinabé (ATB) , le Carrefour Internationale de Théâtre de Ouagadougou (CITO), l’Espace Gambidi, le Grin des Arts vivant, le Cartel, les Centres Siraba, Ankata, Grâce Théâtre qui sont très fragiles, ont besoin de soutien structurel pour continuer à former, offrir des spectacles et permettre un accès à la culture pour tous.
Au fond, je pense qu’il y a des dynamiques que seul l’Etat peut insuffler. Il y a des réalisations que l’Etat peut opérer pour permettre au reste du monde de nous écouter, de nous voire, de nous entendre et de nous respecter.
À mon avis, les arts et la culture doivent faire partie en premier lieux de ces proyjet de société au plus niveau…
Donc, un deuxième cri de coeur, c’est demander aux pouvoirs publics, notamment, aux maires de ville, au ministre en charge de la culture de reconnaître et d’accompagner nos efforts et nos initiatives de façon pérenne.
 
ICF : Nous savons que vous êtes au Burkina pour le travail et non le repos. Quels sont vos projets à court, à moyen et à long terme ?

SS : Actuellement, je suis en pleine formation de danseurs qui s’intéressent à la transmission de la danse et à la pédagogie de la danse. Ce sont des danseurs qui sont venus du Mali, de la Côte d’Ivoire, du Niger, du Ghana et également du Burkina Faso pour participer à une formation. Cette formation va leur permettre d’avoir des outils pour aller enseigner et travailler dans tous les milieux, (dans les quartiers, les écoles, les universités, les hôpitaux ou centre de rééducation ou même dans des milieux carcéraux … ). Nous croyons fermement qu’avoir un accès à la culture pour les population , c’est permettre un éveil des consciences et réaliser un vivre-ensemble paisible.
Nouspréparons également pour décembre, une résidence de coaching ou il y aura des artistes qui viendront de plusieurs pays pour séjourner à la Termitière. Nous les accompagnerons sur toutes les étapes de leur projet de spectacle, de la production, à la création, à la comunication jusqu’à la diffusion de l’œuvre.
Je reprends en Octobre les tournées de mon nouveau spectacle qui s’intitule “D’un rêve ». Je me suis inspiré du célèbre et puissant poème de Martin Luther King  »I have a dream »  pour créer ce spectacle avec douze interprètes (quatre danseuses, quatre danseurs et quatre chanteuses) ; le spectacle se saisît de la question des libertés et convoque le “JE” individu et “ NOUS “ communauté.
Quand on sait que le “JE”, je suis le plus fort, je suis le plus intelligent, je suis le plus riche, etc…, domine le monde; il y a lieu de s’interroger sur le “nous“ communauté, le “nous” psys, le “nous” union, le “nous” destin commun, le “Nous” nation, qu’est-ce que nous avons comme valeurs à défendre et à partager ensemble ?
Aujourd’hui le Burkina traverse des moments difficiles liés justement à un extrémisme violent et je pense que le “nous” prend tout son sens dans ce contexte.
Le spectacle “D’un rêve” va en tournée à travers la France, la Belgique, l’Italie, la Suisse, l’Allemagne et le Maroc. J’espère ramener le spectacle très vite à Ouaga et à Bobo-Dioulasso pour rencontrer et dialoguer avec mon public de danse.

ICF : Quels sont vos conseils pour les jeunes talents d’ici et d’ailleurs qui veulent emboîter vos pas dans la chorégraphie ?

SS : J’évoquerai simplement l’engagement, la curiosité, la rigueur et la patience. J’aime beaucoup répéter ces quatre mots à mes élèves et aux jeunes artistes et danseurs.
Il faut s’engager et exprimer ses choix et sa liberté, être fier de ce qu’on est et ce que l’on fait. Quand on est curieux, on ne s’ennuie pas dans la vie. Il faut être rigoureux dans le travail. Il faut être patient car le succès, l’excellence et la reconnaissance arrivent après de longues années d’expérience, d’expérimentation et de travail.
Partant de ces principes, Il n’y a pas de sot métier.

ICF : Pensez-vous que le ministère de la culture burkinabè fait assez pour aider les artistes ?

SS : Sans détour, je dirai que non. Il faut davantage que le département ministériel soit à l’écoute des acteurs culturels pour mieux les accompagner.
Si nous considérons que la culture et les arts doivent et peuvent être du domaine de la souveraineté nationale, alors il faut investir, Il faut sanctuariser des aides pour la structuration, la formation, la création artistique, la réalisation d’œuvres cinématographiques, la conservation et le sauvegarde du patrimoine, ainsi que l’édition…
Pour certaines manifestations d’envergure nationale et internationale, organisées par le ministère et avec le temps qui passe, nous devons nous re-interroger sur les objectifs de ces événements culturels.
Le Fespaco est un événement majeur et une vitrine de notre culture, il a un un nouveau Délégué Général, qui va sans doute apporter des innovations et donner un nouveau souffle à ce festival.
La Semaine Nationale de la Culture (SNC) peut muter et nous faire rêver en tant que nation de culture.
Le potentiel humain et l’imagination sont bien là, et il faut créer les synergies d’actions.
Ainsi donc le ministère peut bien et mieux faire.

ICF : Nous voyons que vous êtes un homme très chargé donc nous allons demander votre mot de fin.

SS : Mon mot de fin va être à la fois politique et artistique. Porter un rêve commun et croire à notre culture, à notre communauté de destin, à notre nation.

Interview réalisée par Parfait Fabrice SAWADOGO 

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