Peu connu du public de son pays, Roukiata Ouedraogo est l’icône de l’humour féminin du coté de la France. A chacun de ses spectacles elle fait salle comble. Nous vous invitons à découvrir l’humoriste à travers cet article de notre confrère du journal La Croix en France.
Cette trentenaire s’arme d’humour pour retracer son parcours, de son enfance au Burkina Faso, marquée par l’excision, à ses débuts de comédienne en France découvrant « l’enfer des castings ».
La comédienne Roukiata Ouedraogo évoque les difficultés pour les femmes noires à décrocher des rôles.
La scène se déroule à la fin des années 1980, dans une école burkinabée. C’est jour de récitation, épreuve redoutée de tous les élèves qui baissent la tête tandis que l’instituteur scrute la classe. Tous sauf Roukiata, 8 ans, qui déjà s’éclaircit la gorge. L’oral, c’est son fort. Devant une classe bondée, elle déclame La cigale et la fourmi avec entrain. Chaque mot est scrupuleusement articulé, la voix bien modulée.
Trente ans plus tard, cette fillette est devenue comédienne. Elle monte seule sur scène chaque mercredi pour porter Je demande la route, un spectacle écrit et mis en scène avec Stéphane Eliard, avec la collaboration du comédien Ali Bougheraba. Jouée près de 150 fois l’an dernier au Lucernaire, prolongée à trois reprises en raison de son succès, sa pièce est désormais à l’affiche du Théâtre de l’Œuvre, à Paris (1).
Les actrices noires se font entendre
La jeune femme y retrace son enfance, dans la ville de Fada N’Gourma, à l’est du Burkina Faso, puis dans les faubourgs de Ouagadougou, avec six frères et sœurs. Elle se souvient des Fables de La Fontaine apprises à la « lueur d’une flamme », de la longue marche chaque matin pour rejoindre l’école, des conseils avisés de sa mère – « Ton travail, c’est ton premier époux ! ».
Les Africaines « prédisposées à travailler dans le social »
Elle raconte son arrivée en France, à 20 ans, la vie dans un petit studio parisien, sans argent ni contact, et cette rencontre avec une conseillère d’orientation qui lui suggère de travailler « dans le social », domaine pour lesquelles les Africaines ont une « prédisposition » selon elle. Dans son spectacle, la comédienne se délecte de ces clichés, moquant autant l’image des noirs longtemps véhiculée en France – « avec une grande bouche et des dents blanches » – que les fantasmes des Africains sur Paris, la ville où tout scintille comme la Tour Eiffel.
Sa famille espère que Roukiata épousera un « blanc gentil ». Elle veut devenir styliste. En attendant, elle travaille comme maquilleuse dans un salon de beauté du quartier de Château rouge, « la capitale africaine de Paris ». Repérée lors d’un stage au cours Florent, elle intègre directement la deuxième année de formation. Ce sera donc le théâtre.
Pas question de changer d’accent
C’est à cette époque qu’elle commence à écrire, laissant remonter à la surface le souvenir longtemps enfoui de son excision, à 3 ans. Un sujet sensible dont elle s’empare avec pudeur, entamant un dialogue avec « ce bout de chair » qu’on lui a volé. Roukiata Ouedraogo ne se rappelle pas la douleur, mais elle n’a jamais oublié l’odeur, celle « du beurre de karité ajouté à la mixture qu’on a appliqué sur ma plaie. » « C’est ici que j’ai pris conscience qu’il me manquait quelque chose, confie-t-elle. « Au Burkina, c’est un sujet tabou, même entre copines. En parler dans mon spectacle m’a libérée. »
Journée mondiale contre l’excision, un mal mondial
Depuis 2016, elle est chroniqueuse dans l’émission « Par Jupiter ! » sur France Inter. « Cela m’a donné une visibilité incroyable ». Même si la médiatisation s’est accompagnée de déconvenues, notamment de commentaires insultants d’auditeurs sur son accent. « L’un d’eux s’est plaint que la station soit devenue Radio Gabon. Un autre m’a comparé à Michel Loeb dans son sketch sur l’Africain… Cela m’a fait très mal », avoue-t-elle, s’empressant comme toujours de s’en amuser. « Non seulement je suis noire, mais en plus j’ai un accent à couper au couteau, c’est vrai que ça fait beaucoup ! »
Pas facile de décrocher des rôles. Récemment, une directrice de casting l’a interrompue en plein milieu de sa présentation, s’étonnant de sa prononciation. « Ça m’a cassé les pattes ». Certains amis lui ont conseillé d’apprendre à « parler comme une blanche », elle s’y refuse. « Caricaturer l’accent français, je sais faire, mais ce n’est pas moi. Si on veut de moi tant mieux, sinon tant pis ! » Elle ne désespère pas d’obtenir le « grand rôle » qu’elle mérite. « La patience est un chemin d’or… »
Source: Jeanne Ferney journal La Croix