Comédienne et conteuse de profession, Mariam Koné aura marqué le paysage culturel burkinabè. Pour elle, il est plus que nécessaire de travailler à ramener le conte dans les habitudes de nos populations au vu de son importance dans nos sociétés. Lors, d’une interview qu’elle nous a accordée, cette icône du secteur du conte au Burkina revient sur sa longue carrière, tout en abordant le caractère opportun du conte.
Infos Culture du Faso: (ICF): Vous êtes conteuse et comédienne. Dites-nous comment est née votre passion pour le conte ?
Mariam Koné (MK): J’ai pour habitude de dire que le conte m’a rattrapée. En fait, je suis née d’une famille où les parents nous racontaient presque tous les soirs des histoires. Pendant les sept (7) premières années de ma vie, j’ai écouté mon père, ma mère nous dire des contes. Je peux donc dire que le conte était devenu comme notre outil de communication et j’ai grandi avec cela. Même plus tard quand j’étais à l’école, j’ai continué à en écouter mais avec d’autres parents éloignés comme proches, dans la société. Aussi entre nous enfants, on se retrouvait pour dire des contes en ce sens que tout ce qu’un enfant entend, il a tendance à le reproduire ou le transmettre. Même entre filles, quand on finissait de jouer au clair de lune, on se contait des histoires. Non seulement c’est comme ça que j’ai eu de la passion pour les contes, mais en plus je me suis rendue compte de son importance dans ma propre vie, dans mon entourage immédiat et dans nos sociétés. En grandissant, même s’il y’a eu un temps pendant quelques années où je n’en ai plus écouté, j’ai continué à vivre avec et de temps à autres, il m’arrivait de dire des contes aux plus jeunes que moi, jusqu’au jour où je suis devenue comédienne. Je faisais le théâtre, je jouais dans des téléfilms.
ICF: Vous avez d’abord exercé comme comédienne. Dites-nous comment, quand est-ce l’idée vous est venue de reprendre le conte ?
MK: Durant le temps où je faisais le théâtre et le cinéma, j’ai décidé comme ça un jour de reprendre le conte. Dès lors, j’avais réalisé qu’il y avait aussi ce qu’on appelait le conte théâtralisé; mais moi je ne voulais pas aller dans ce sens vu que je n’étais pas formée comme metteuse en scène. Je voulais juste faire des spectacles de contes. En 2001, j’ai travaillé un peu avec des camarades mais on ne savait pas trop comment exploiter nos talents de conteurs. En 2002, c’est Albert Bilgo, appelé communément le Chrysostome, qui est venu me chercher pour aller monter un spectacle de conte qu’on devait aller jouer en France. Et quand nous sommes revenus de ce voyage, la passion s’est réveillée à jamais. C’est comme ça que j’ai repris officiellement le conte.
ICF: Dites-nous quel a été le déclic pour ce retour à votre passion ?
MK: Le déclic est venu du spectacle d’Albert Bilgo (Compagnie Fadjiri Lolo) en 2002. Une fois arrivés en France pour la tournée, on racontait dans les écoles, sur des scènes, bref devant un public diversifié. Il faut préciser que c’était un spectacle de contes traditionnels. Et ce qui a été surprenant pour moi, c’est que le public les a vraiment aimés. A partir de là, je me suis dit que si des gens de l’Occident adorent nos contes, cela veut dire que nos contes ont du contenu. C’est ce qui m’a vraiment motivée à revenir dans le conte et à en faire réellement un métier.
ICF: Qu’est-ce qui est advenu après cette décision ?
MK: En fait, on avait un camarade du nom de Abakar Abaye, un tchadien qui vit maintenant en France. Il avait l’habitude de programmer des conteurs dans l’espace de la Compagnie Théâtre le Roseau sis à wemtenga. Il y’avait ce qu’on appelait « la Nuit du conte » qui se déroulait tous les derniers mercredi du mois. C’est donc Abaye qui m’a programmée au Roseau après m’avoir vue raconter une fois à Bobo Dioulasso. Et lors de ma première soirée de conte, il y’avait Ali Diallo qui était aussi un promoteur et directeur du Festival Yeleen à cette époque. Lorsqu’il m’a vue, il a dit qu’il n’avait jamais eu l’occasion de programmer une conteuse professionnelle du Burkina. C’est comme ça que lui aussi a proposé de me programmer au Festival Yeleen. Il faut dire que ce Festival a servi de tremplin pour l’évolution de ma carrière, vu que j’y ai rencontré plein de personnes qui m’ont invitées à d’autres grands festivals.
ICF: Vos contes sont des contes traditionnels. Qu’est-ce qui les diffère du conte théâtralisé ?
MK: Comme le nom l’indique, le conte théâtralisé, c’est du conte adapté au théâtre. Mais tel que moi je fais, je raconte de façon simple des histoires ; je ne joue pas à travers des mises en scènes, mais si quelqu’un a besoin que je joue dans ce type de conte, aucun souci. Je peux bien le faire.
ICF: Quelle place occupe le conte dans nos sociétés actuelles ?
MK: Je dirais simplement que nous avons plus que jamais besoin du conte dans nos quotidiens. La première raison est qu’il détient un caractère humanisant. En fait, si vous dites des contes à votre enfant, vous l’humanisez à la base, c’est-à-dire que cet enfant sera capable de regarder les choses et faire la relation de cause à effet, puisqu’il est conditionné par le conte. Et ça, c’est la base de l’être humain. Si l’on se fout des conséquences de nos actes, c’est qu’il y’a quelque chose qui nous manque ; et le conte établit cette base chez l’être humain. Le conte fait que l’individu qui l’écoute, de par sa propre intelligence, établit les choses. Lorsqu’un individu écoute un conte, son sens d’analyse se met en marche. Il est donc très puissant pour construire la société. Raison pour laquelle nous ne devons pas abandonner le conte. Aussi, les adultes ont assez de pressions dans nos sociétés actuelles. Le conte permettrait donc de décompresser ou de trouver des solutions à certains de nos problèmes si on prenait notre petit temps pour écouter des contes venant de nos artistes, nos épouses, nos époux, nos enfants ou d’autres proches. C’est une sorte de thérapie.
Il y’a aussi qu’avec le modernisme, nos enfants sont beaucoup exposés à plusieurs choses. Si nous nous accordons un petit temps pour leur conter des histoires, leur lire des contes ou les amener voir des spectacles de contes, cela ramènera des valeurs endogènes dans leur vie.
ICF: Que faut-il donc pour redonner la place qu’il faut au conte dans nos sociétés ?
MK: Je dirais plutôt qu’est-ce qu’il faut pour ramener le conte dans les habitudes des populations. Cela passe par la réception des spectacles de contes dans les écoles, les quartiers, les différents espaces, ce qui permettra aux enfants d’enregistrer petit à petit ces contes pour ensuite se les conter à la maison. Il y’a aussi les livres de contes qu’il faut acheter pour les enfants. Il est indéniable de reconnaître que le conte renforce les relations enfants-parents et même entre les enfants eux-mêmes. Aussi, il faille aider les artistes à valoriser les contes. Vous savez, même si un enfant entend aujourd’hui que le conte est important, si pendant des mois ou des années, il n’a pas accès à un spectacle de contes, à un livre de contes, si ses parents ne lui ont pas dits des contes, le message sera perdu.
Il est très intéressant et important de souligner qu’on ne découvre pas tous les messages du conte en même temps. De 0 à 10 ans, on comprend le conte d’une façon élémentaire. A l’adolescence, on évolue dans sa compréhension. Puis à l’âge adulte, on continue à découvrir les autres messages du contes.
ICF: Justement en ce qui concerne le fait de ramener le conte dans les habitudes des populations, avez-vous des projets qui s’inscrivent dans cette dynamique ?
MK: Bien-sûr, j’ai fait plusieurs projets dans ce sens. J’ai fait des ateliers dans des écoles à Ouaga, et en province entre 2008 et 2013. C’est vrai qu’entre temps, pour des raisons de santé, j’avais fait une pause ; mais j’ai encore des projets, à l’image de celui de contes sur les sites touristiques. J’ai aussi des contes traditionnels que je n’avais pas édités et que je suis en train de transcrire. Je veux continuer de collaborer avec les écoles parce qu’elles restent nos partenaires privilégiés pour la transmission des valeurs.
ICF: A ce propos, qu’avez-vous comme message à l’endroit des autorités en charge des questions culturelles ?
MK: Je ne dirais pas que rien n’est fait pour les artistes. Tout n’est pas mauvais, il y’a des choses qui sont faites. Ce que je souhaiterais, c’est qu’on continue d’améliorer, qu’on nous encourage en nous soutenant financièrement. Certains ont tendance à dire que la culture ne rapporte pas. Y a-t-il un domaine qui rapporte plus que la culture ? Quand on a une population bien éduquée à la base de façon culturelle, c’est un peuple qui évolue, se développe parce que solide à la base. Le travail de l’artiste, même s’il ne rapporte pas de l’argent immédiatement, rapporte énormément à la société. Et c’est quand une société se porte bien et sait s’assumer, qu’elle se développe. Donc le travail de l’artiste est à la base le développement de la société. Vu sous cet angle, c’est un travailleur social.
ICF: Pouvez-vous revenir sur ce qui a prévalu à la mise en place de votre projet de conte sur les s sites touristiques ?
MK: « Raconte-moi un site touristique », c’est comme ça que l’ai appelé. A la base, j’ai créé un festival de l’oralité à Tougan depuis 2006. Et à cette époque, j’avais aussi en tête de faire la promotion des sites touristiques du Burkina Faso, en ce sens qu’ils font partie de notre patrimoine culturel au même titre que le conte. C’est vrai que par la suite, j’ai manqué de moyen pour le faire. J’avais même en son temps adressé une correspondance au ministère de la culture qui m’a envoyé une équipe de la Direction du tourisme pour visiter des sites touristiques dans la province du Sourou. Mais comme je l’ai dit, le manque de moyen a freiné mon élan concernant cette idée. Jusqu’en 2017, lorsque j’étais en train de faire une animation sur le site de la Foire Internationale du Livre de Ouagadougou (FILO); j’animais l’espace enfant quand le Secrétaire Général du Ministère de la Culture, Monsieur Jean Paul Koudougou, de passage pour visiter les espaces, est arrivé à mon niveau. A l’époque, je le connaissais seulement de nom. Il nous a salués mon collègue et moi, puis m’a rappelé qu’il m’avait demandé de lui faire parvenir un programme d’animation pour le musée national. Après la FILO, je me suis mise à réfléchir jusqu’à ce que mon idée de promouvoir les sites touristiques a refait surface. Je me suis dit alors qu’au lieu de faire uniquement un programme pour le musée, je pourrais lui proposer quelque chose d’assez global qui inclut le musée lui-même. Faire la promotion des sites touristiques sous forme de conte.
Avant fin 2017, je suis allée à Bobo-Dioulasso et à Noumoudara où j’ai visité quelques sites et j’ai continué ma réflexion. J’ai commencé donc à écrire en fin 2017. C’est parti assez lentement et c’est en juillet 2021 que j’ai terminé l’écriture. En fait, il restait huit (8) sites dans l’Est et le Nord du Burkina pour lesquels je n’arrivais pas à obtenir des informations alors que j’écris ces contes en m’appuyant sur des histoires vraies. J’ai dû demander l’aide du BBDA pour pouvoir mener des recherches pour des informations complémentaires sur les 6 derniers contes. J’ai écrit 26 contes au total sur 28 sites. Mon objectif est d’atteindre 52 pour le Burkina Faso, foi de quoi je continue d’écrire.
ICF: Quelle sera la suite à ce projet ?
MK: le gros défi est de parvenir à avoir des moyens pour arriver à les éditer et enregistrer en audiovisuel en vue de mieux les exploiter. Je parle d’enregistrement parce qu’on ne s’est pas adapté pour les faire sous forme de films, il s’agit donc d’avoir des spectacles de conte enregistrés. Pour cela, on travaille avec des techniciens et comédiens professionnels.
ICF: Mais étant également comédienne, qu’est-ce que ça fait de porter cette double casquette ?
MK: Entre le métier de conteur et celui de comédien, il n’y a qu’un pas en ce sens que dans les deux cas, on véhicule des messages. C’est vrai que dans les films, on joue des rôles contrairement au conte où on passe seulement le message. La communication est plus directe. Mais qu’à cela ne tienne, la finalité, c’est de passer des messages. Et j’arrive à concilier les deux sans difficultés.
ICF: Que pensez-vous donc des contes traditionnels ?
MK: C’est dommage, mais en Occident, les gens accordent plus de valeurs à nos contes que chez nous. C’est regrettable qu’on ignore ce patrimoine alors qu’il incarne une très grande importance pour la société. La preuve est que les occidentaux sont prêts à payer des bons cachets rien que pour que vous puissiez raconter pour leur public. C’est l’une des causes de notre sous-développement; qu’on ne sache pas mettre en valeur ce que nous avons comme richesse.
ICF: Mais comment pouvez-vous qualifier votre carrière à l’heure actuelle?
MK: Quand je parle de carrière, je me dépêche toujours pour dire merci à mon pays. C’est ce peuple du Burkina-Faso qui m’a transmis ce trésor que j’ai utilisé pour vivre. Avant même d’être conteuse, je vivais bien de mon travail de comédienne. Bien que je ne sois pas financièrement riche, j’ai pu m’assumer, prendre en charge ceux que je devais prendre en charge. Je dirais que je suis satisfaite et fière de ma carrière.
ICF: Nous sommes à la fin de notre entretien, quel est votre mot de fin ?
MK: J’aimerais écrire beaucoup de contes sur de multiples aspects de mon pays le Burkina Faso, mais aussi l’Afrique parce que c’est aussi une façon de sauvegarder notre culture et de transmettre nos valeurs. Je suis là-dessus et je continue de travailler. Mon souhait est que quelques portes s’ouvrent pour que je puisse les fixer sur des supports audiovisuels. Pour ce faire, je prie les autorités de nous soutenir car nous contribuons quoiqu’on dise au développement du pays. Je profite pour adresser mes remerciements au public burkinabè et celui d’Afrique qui aime bien les œuvres artistiques des artistes africains. A vous, je réitère ma gratitude pour cette fenêtre d’expression.
Interview réalisée par Boukari OUÉDRAOGO