Le journal Infos Culture du Faso a rencontré le conteur François Moïse Bamba au cours de son séjour à Bobo-Dioulasso. Il aborde dans cette interview la vie de sa carrière et parle de son actualité.
Infos Culture du Faso (I.C.F) : avant de commencer, nous allons vous demander de vous présenter aux lecteurs.
François Moïse Bamba (F.M.B) : Je voudrais tout d’abord dire merci à Infos Culture du Faso pour tout le travail que vous faites. Je suis François Moïse Bamba, conteur, comédien, directeur de compagnie et de festival, opérateur culturel burkinabè, en couple et j’ai quatre enfants.
I.C.F : vous portez plusieurs casquettes et nous allons aujourd’hui nous intéresser à votre rôle de conteur. Qu’est-ce qui vous a poussé vers l’art, particulièrement le conte ?
F.M.B : il faut dire que mon éducation a été en grande partie portée par le conte. Donc je n’imaginais pas qu’on pouvait en vivre. Pour moi, conter c’était la grande école de la vie où on enseignait, conseillait, orientait, prévenait. À aucun moment j’ai pensé que l’art du conte pouvait faire vivre. C’est à partir de la deuxième édition du festival Yeleen que j’ai rejoint l’équipe d’organisation et à même temps j’ai été le premier stagiaire burkinabè à être formé au conte en 1998. C’est pendant ces temps que j’ai raconté une histoire que mon père m’a conté et tous les conteurs de référence qui y étaient présents ont trouvé que c’est un conte original et que de par ma manière de conter, je pouvais être un bon conteur.
I.C.F : parlez-nous du début de votre carrière dans ce métier.
F.M.B : le début a été plutôt aisé pour moi, parce que quand je commençais le conte je n’imaginais pas qu’on pouvait en vivre. Pour moi c’était une école de la vie où on se retrouvait et partageait une parole. Le début était presque sans attentes et ça m’a aidé parce que j’ai commencé à travailler mon répertoire à partir des contes que mon père me disait et je ne voulais raconter que ceux-là. Comme je l’ai perdu très jeune, alors je suis allé dans le village de mon père et de ma mère pour collecter ces contes et par la suite j’ai commencé à collecter avec d’autres personnes dans d’autres villages et régions du Burkina Faso. La porte du conte comme métier s’est ouverte à moi en 1998 quand on m’a vu conter lors de la 2ème édition du Festival International de Conte et de Musique de Bobo-Dioulasso ‘’YELEEN’’. Dans ma démarche de constituer ce répertoire de contes personnels, j’ai été accompagné par la conteuse et formatrice française, Françoise DIEP. Le résultat de cette collecte a été présenté à des maisons d’édition qui ont été séduites par l’originalité des contes. C’est ainsi qu’en 2001 j’ai été en France pour la première fois, invité par la maison d’édition LIRABELLE pour entrer en studio et enregistrer sept albums de conte jeunesse et à même temps des opportunités de raconter dans les écoles et festivals. Et depuis cette année il ne s’est pas passée une année sans que je retourne en France et comme je ne suis pas trop mauvais conteur, les portes de l’île de la Réunion, du Canada, de la Belgique, de l’Italie, de l’Espagne, de la Suisse et Brésil m’ont été ouvertes.
I.C.F : vous avez participé à plusieurs festivals et contribué à la réussite d’événements culturels liés au conte. Quel est votre public cible ? Est-ce que vous atteignez vos objectifs à travers le conte ?
F.M.B : il faut dire que pour moi l’art du conte était un tout pluriel. De ma démarche et des personnes rencontrées sur ce chemin du conte, j’ai appris que pour expérimenter une société à tradition orale, il faut être au minimum deux, celui qui a la parole et celui qui a l’écoute et, contrairement à ce qu’on pense ce n’est pas celui qui a la parole qui est le plus important, mais celui qui a l’écoute car c’est elle qui détermine l’importance de la parole. Ça m’a forgé, tout ce que je fais j’ai besoin de me sentir entouré, de sentir qu’il y a d’autres personnes avec moi. Ça m’a amené à créer la première association de conte du Burkina qui est l’association ‘’à l’école des ancêtres à Ouagadougou’’. Je suis aussi l’instigateur de la création de l’association des conteurs du Bobo-Dioulasso,’’ les conteurs de la source’’. Mes contes peuvent s’adresser à tout public. Je suis ce conteur qui raconte des crèches jusqu’aux maisons de retraite parce que la valeur traditionnelle du conte n’a pas de public cible ; ça s’adresse à tout le monde. Mon public est assez varié et de tout ordre. Si depuis vingt ans je ne vis essentiellement que de conte et si je continu à être sollicité par les festivals et d’autres évènements culturels et artistiques, c’est surement que la contribution des contes que je porte, contribuent véritablement à leur réussite.
I.C.F : quels sont les thèmes que vous abordez souvent dans vos contes ?
F.M.B : dans les contes il y a tout : les rapports humains (entre amis, entre frères et sœurs, entre parents et enfants, entre maris et femmes) … les rapports entre l’homme et la nature, les rapports entre l’homme et les animaux. Les thèmes touchent tous les mécanismes de la vie, tout ce qui se trouve sur cette terre, dans les cieux, dans les eaux, tout ce qui est visible et invisible, les relations surtout qu’il y a entre ces différentes espèces.
I.C.F : pouvez-vous nous parler de votre recueil de contes ?
F.M.B : il y en a plusieurs, d’abord les albums jeunesse avec les éditions LIRABELLE dans la collection ‘’Contes du Burkina Faso’’ : il y a sept (7) livres, livres CD, CD et DVD en bande dessinée. Il y a aussi un recueil de près d’une soixantaine de contes pour tout âge avec ls éditions FLIES France dans la collection ‘’Aux origines du monde, contes et légendes du Burkina Faso’’. Ce recueil parle de toutes les histoires qui racontent la première fois des choses. C’est tous ces contes qui se terminent par <<c’est depuis ce jour que>>. Il est tellement apprécié qu’ils sont en deuxième édition. Ce recueil a été en 2018, un des cent recueils que la bibliothèque de France a conseillé au public pour accompagner leur vacance.
I.C.F : quel peut être le rôle du conteur dans un monde des nouvelles technologies plus connues du grand public ?
F.M.B : en fait, je pense qu’il y a un mauvais positionnement parce que les NTIC ne marchent pas tout seul. C’est le contenu qu’on y met qui fait tout. Malheureusement, dès l’arrivée de ces NTIC et vu que sa maitrise ne venait pas de nous, c’est comme si elles allaient effacer toutes nos traditions. Aujourd’hui avec leurs maitrises par les compétences locales, je pense que les NTIC sont un véritable outils qui nous aident à accompagner notre travail de conte et de préservation de nos valeurs traditionnelles et anciennes. De nos jours, un moment conté, pendant que je le fais au Burkina, il peut être suivi à travers le monde entier. Pour moi ces outils arrivent en complément, il faut juste que nous ayons l’intelligence d’alimenter ces nouvelles technologies, leurs contenus avec ces valeurs culturelles anciennes et traditionnelles.
I.C.F : quels sont les défis actuels de ce métier ?
F.M.B : c’est la formation et la persévérance. La formation parce que malheureusement, les grands événements qui font des formations, ça ne dépasse pas dix jours. Donc de la formation suivie et en continue. Les gens ont des bases, des notions sur le conte et se proclament conteurs, et pour certains, eux-mêmes ne sont pas tout à fait construits dans la tête, dans la philosophie et dans la vision comme conteur et ils se retrouvent à animer des formations de conteurs. On compile des contes tirés des livres et on dit qu’on a fait une création. Pour moi la vraie formation doit nous amener à nous poser des questions profondes tel que quel conteur on veut être, quel genre de conte on veut dire, quel répertoire on constitue et avoir conscience du lieu qui nous accueille, du public qui nous suit, de la conscience de l’histoire que j’ai choisi de lire. La persévérance parce-qu’aujourd’hui lon a laissé plein d’arts nouveaux venir bouffer le conte. Il faut qu’on persévère, travaille à imposer le conte comme valeur sûre.
I.C.F : quelles sont les difficultés des conteurs du Burkina Faso et de l’Afrique en général ?
F.M.B : c’est qu’il y a très rare de conteurs purs au Burkina. Il y a beaucoup de gens qui font du conte narratif, mais un travail profond de recherche et pratique du conte il y en a très peu, beaucoup sont identifiés comédiens et en second ils font le conte. La difficulté c’est de pouvoir avoir des pratiquants qui se réclament purs et simples de ce métier. La difficulté majeure c’est de pouvoir instituer cette conscience de l’art pur du conte et accompagner cela de formation. La méconnaissance et le manque de formation, de connaissance font qu’aujourd’hui, des gens vont jusqu’à affirmer que le slam est l’art moderne du conte…
I.C.F : quelles solutions peut-on envisager afin de valoriser le conte ?
F.M.B : c’est de multiplier les soirées contées. C’est cette habitude qui va amener les gens à s’intéresser et réhabituer à cet art. Le travail doit consister à amener les gens à une meilleure connaissance de cet art patrimonial par la recherche, la formation et accompagner la mémoire renouvelée des gens pour se rappeler de ce qu’ils ont entendus. À Bobo, les premières émissions plébiscitées radio et télés sont des émissions de contes, ce qui montre que le public, les gens aiment cet art.
I.C.F : quels sont les conseils que vous avez à lancer aux jeunes qui veulent embrasser le métier du conte ?
F.M.B : le conseil aux jeunes c’est de ne pas croire que c’est eux qui font le conte mais que c’est le conte qui les fait. C’est la puissance et le sens de tes paroles qui amènent les gens à adhérer, à avoir du plaisir à t’écouter. Le conteur s’impose d’une manière ou d’une autre par la qualité des écoutes diverses qui peuvent composer un moment de narration, la profondeur et le respect de tout cet ensemble et lorsque le conteur s’est mis au service du conte. Les jeunes doivent mieux et d’avantage s’écouter sois même d’abord, entre eux et surtout les plus anciens toute cette démarche qui les mettrait sur une voie de conscience…
I.C.F : quelle est votre actualité ?
F.M.B : Pour les jours et mois à venir : Fin février à fin mars ; la création de Supim de KPG, participation à la grande nuit du conte. Fin mars début avril ; animation d’un atelier de conte à l’institut français de Kinshasa. J’ai installé un centre incubateur qui accompagne les jeunes artistes, associations et structures de toute discipline à s’organiser du coté de Bobo. Faire des formations et en ce moment je fais beaucoup de formations avec des universitaires du Brésil, des conférences, spectacles, des ateliers en ligne. J’agis beaucoup en ligne. Beaucoup d’écriture de projets qui seront portés bientôt à la connaissance du grand public.
Interview réalisée par Parfait Fabrice SAWADOGO