ven 29 mars 2024

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Polémique sur la statut de Thomas Sankara, Jean Luc Bambara donne son point de vu.

Le sculpteur Jean Luc Bambara se défend sur la polémique autour de la statut de Thomas Sankara. Dans un interview de Joachim Vokouma du journal en ligne Kaceto.net que nous vous proposons dans les lignes qui suivent.

La statue du capitaine Thomas Sankara dont vous êtes l’auteur suscite beaucoup de polémique depuis son dévoilement le 3 mars. Le public estime que la statue ne ressemble pas du tout au président Thomas Sankara. Que lui répondez-vous ?

C’est une statue d’une hauteur de 4 mètres, posée sur un socle 5 mètres, soit au total 9 mètres. Une statue de cette grandeur n’est pas faite pour être vue de près, mais de loin. Techniquement, quand une statue doit être vue de loin, il faut grossir les proportions en tenant compte des mesures. Par exemple, la statue de la Liberté aux Etats-Unis est un monstre quand on la regarde de près, mais de loin, tu vois une œuvre d’art. C’est une question d’échelle et c’est dans cette optique que nous avons réalisé la statue de Sankara.
Je précise que le plan architectural a été ajusté, sinon, elle devait être beaucoup plus haute et là, les traits du visage qui sont gros vus de près, deviennent petits en hauteur. Mais si dès le bas les traits sont petits, en hauteur, on ne distinguera rien, seulement une boule difficile à identifier. Lors de l’inauguration de la statue, j’ai conseillé aux photographes de prendre les vues à une certaine distance, mais ils ne m’ont pas écouté et à ma grande surprise, ils sont tous allés jusqu’au pied de la statue pour prendre les photos des présidents Kaboré et Rawlings. Résultats, ils ont photographié la statue de près alors qu’elle doit être vue de loin.
Contrairement à ce qui est dit sur les réseaux sociaux, je n’ai pas du tout raté le visage du président Sankara ; j’ai juste grossi les proportions en fonction de l’échelle. Si elle devait être vue de près, nous l’aurions fait en grandeur nature et non géante, et on n’aurait pas besoin de reculer pour la voir. La statue telle qu’elle a été commandée doit surplomber le paysage et être vue depuis la grande voie qui passe devant le conseil national de lutte contre le Sida. Celui qui respecte cette distance et s’il est honnête, il dira qu’il voit bien Thomas Sankara. L’explication est technique. C’est tout !

Maintenant que le public veut la voir de près, que pouvez-vous faire ?

Nous avons déjà commencé à travailler pour opérer les réajustements nécessaires, notamment au niveau de la tête. Quand ce sera prêt, on viendra fixer la nouvelle tête, une sorte de greffe avec ce que cela comporte comme perte comparativement à l’ancienne. Comme l’œuvre doit être vue de près, on va réajuster les proportions, mais ce n’était pas le projet initial. C’est un couteau à double tranchant : ceux qui la verront de loin ne pourront pas identifier les traits ; mais ceux qui la verront de près, oui. Le travail sera de réajuster les proportions pour être au milieu. C’est tout !
Franchement, je comprends la réaction du public, du moins ceux qui sont sincères et non ceux qui profitent de l’occasion de solder leurs comptes avec moi. Mais ceux qui nous critiquent oublient une chose : est-ce que Sankara mesurait 9 mètres ?

Il faut savoir que la grosseur des yeux d’une personne mesurant 1,70 m ne peut pas être identique à celle mesurant 5 mètres ! De même, pour celui qui mesure 1,70 m, l’écart des lèvres doit être de 1,5 cm quand il a la bouche fermée. Or, Sankara a la bouche fermée et l’écart des lèvres atteint 10cm. Celui qui est à côté de l’œuvre va donc s’étonner de la grosseur des lèvres et conclura qu’il s’agit d’une autre personne parce que Sankara n’avait pas de grosses lèvres.
On dit aussi que sur la statue, il a de gros yeux ; c’est encore une question de proportions par rapport à la taille. Si tu épouses la fille de l’éléphant, c’est que tu as les attributs bien proportionnés pour la satisfaire ! Et moi, en tant qu’artiste, si je n’ai pas ces notions élémentaires de proportions, je n’aurais pas eu la carrière que j’ai aujourd’hui.

Comment les membres de la commission technique chargée de la réception de l’œuvre ont réagi en la découvrant ?

Ils ont réagi comme le public quand ils se sont mis au pied de la statue. Certains m’ont dit qu’ils n’allaient pas signer la réception parce que le visage n’est pas celui de Sankara. Mais quand je leur ai demandé de prendre de la distance, ils ont dit que le visage de Thomas Sankara était bien reconnaissable. C’est cette explication que le public n’a pas et nous sommes dans un pays où les gens n’ont pas la culture de l’art. Ce sont de mauvais chasseurs parce qu’ils regardent les choses en face. Si tu as un gros calibre et tu tires à bout portant sur un lièvre, tu n’auras plus de la viande, mais de la bouillie. En ayant cette lecture, les gens auraient compris qu’une statue de cette grandeur n’est pas faite pour être vue au pied. Je rappelle que c’est moi qui ai réalisé la statue de Sankara qui est à Gaoua. Elle mesure 4,10 mètres de hauteur et c’est pour cette raison qu’elle a été proportionnée pour être vue de près.

Pourquoi avez-vous écrit « Tom » sans le h ?

C’est volontairement que je l’ai fait. Le président Thomas Sankara était un homme iconoclaste, qui sortait de l’ordinaire, pas conventionnel. Savez-vous que le béret qu’il portait n’était pas à la taille de son crâne ? Et puis, ça lui arrivait de porter des chaussures avec des lacets de couleurs différentes ! C’est vous dire qu’il ne respectait pas les codes et c’est dans cet esprit que j’ai écrit Tom sans h !
Rassurez-vous, je suis allé à l’école et je connais bien l’orthographe du nom

Sur la statue, c’est le bras gauche qui est levé alors que certains disent qu’il levait le plus souvent le bras droit…

On peut polémiquer comme on veut ; j’ai vu Sankara à plusieurs reprises et à chaque fois qu’il s’adresse au public, il levait le bras gauche quand il s’adressait à ceux qui étaient à sa gauche et le bras droit quand ils parlaient à ceux qui étaient à sa droite. J’ai aussi regardé plusieurs vidéos et des photos, et on ne peut pas dire qu’il levait un bras plus que l’autre !

Quand pensez-vous terminer les réajustements ?

Je ne peux pas donner un délai, mais je peux vous dire que nous sommes déjà à l’œuvre pour terminer les travaux complémentaires le plus vite possible.
L’opinion doit savoir que pour l’instant, il n’y a pas d’œuvre de cette envergure au Burkina. Techniquement, pour réaliser une statue de cette dimension, il faut au moins un an de travail. Or, nous n’avons eu que 120 jours à partir de la date de signature du contrat fin 2016 début 2017 sous Tahirou Barry.
Artistiquement, j’aurai dû refuser, parce qu’une œuvre d’art, c’est une question d’inspiration, mais j’ai voulu relever le défi en mobilisant les 57 meilleurs artistes que compte le Burkina ; nous avons travaillé tous les jours et tard dans la nuit à la lumière de projecteurs que nous avons installés. Les artistes viennent de Bobo, Banfora, Koudougou, Tenkodogo, Ouaga, sans oublier les associations d’artistes libres qui sont travaillent dans leurs propres ateliers et les écoles d’art.

Comment accueillez-vous les réactions et commentaires parfois blessants contre vous depuis le dévoilement de l’œuvre ?

Oh, pour être sincère, j’ai eu pitié pour eux parce qu’ils sont victimes de leur ignorance. Comme disait Jésus, « Père, pardonnez-les, car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Des gens profitent de cette occasion pour porter atteinte à mon image, ma dignité et ma crédibilité que j’ai acquises au Burkina et à l’international. Depuis le 3 mars, j’ai reçu plus de 1000 messages de félicitations venant des USA, d’Espagne, de Suisse, d’Allemagne, d’Ethiopie et bien entendu du Burkina. Quand on me connait, on devrait d’abord chercher à comprendre pourquoi j’ai réalisé cette œuvre, à supposer qu’on ait vraiment besoin de comprendre. Mais si certains espéraient que j’allais être affecté par ce torrent d’insultes, c’est raté. Ce qui me fait souffrir, ce sont mes parents et amis qui se demandent pourquoi une telle violence contre moi. Mais moi, ça ne me dit rien du tout ! J’ai regardé un match de foot, suis allé me coucher et me réveiller tôt comme d’habitude pour vaquer à mes préoccupations.

Pour beaucoup, c’est à cause de la procédure de gré à gré qui a conduit à ce résultat…

J’ai lu effectivement ce type de commentaire qui laisse penser que je ne méritais pas d’avoir le marché. C’est que les gens ne connaissent pas les conditions de la procédure de gré à gré au ministère de la Culture.
D’abord, il faut présenter tous les papiers de ton entreprise, puis prouver que tu es à jour de tes cotisations sociales et aux impôts. Ensuite, avoir les reins solides parce qu’on ne te donne pas un centime d’avance. Tu dois travailler sur fonds propres et c’est à la fin des travaux et leur réception provisoire qu’on te paie la première tranche. Connaissez-vous combien d’entreprises culturelles qui peuvent remplir ces critères ? Je vous fais une confidence : si on avait donné ce marché à un autre artiste, je suis certain qu’aujourd’hui, on serait obligé d’aller lui donner à manger à la MACO !

Qui a commandé l’œuvre ?

C’est un projet du ministère de la Culture qui vise à doter les régions de monuments. Dans la région du Centre, c’est la statue de Thomas Sankara qui devait être construite et offerte à la ville ; mais comme le Mémorial Thomas Sankara était en gestation, le ministère a estimé qu’elle y avait sa place.
Dès le début des travaux, il y a des visites de chantier à tout moment et parfois, le ministre Barry nous apportait des sachets d’eau et donnait de sa poche 5 ou 10 000 F CFA aux travailleurs pour manger parce qu’il voyait bien que nous travaillions dans des conditions difficiles. Mon seul salut, est qu’il a parlé aux jeunes en leur disant qu’il fallait terminer le travail avant d’être payé ; avec le temps, certains ont compris la merde dans laquelle je me trouvais. Pour l’approvisionnement en matière première, c’est-à-dire le bronze, nous avons été parfois obligé d’aller le chercher en Guinée Conakry, Guinée-équatoriale, en Côte d’Ivoire, etc.
Au total, nous avons au besoin de 10 tonnes de bronze et au final, l’œuvre je suis fier pèse 7 tonnes. Je veux rassurer mes proches et ceux qui m’aiment : votre artiste n’a pas changé et ne faites pas attention à cette polémique.
Financièrement, avec les travaux de réajustement que je dois effectuer à mes frais, si je m’en tire avec au moins 5 millions F CFA, ce sera déjà quelque chose de gagné.

Joachim Vokouma

Kaceto.net

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