Le marché de la mode dans le monde connait une véritable concurrence dans laquelle l’Afrique s’est longtemps retrouvée à l’écart. Pour IDE MAVA, styliste burkinabè et promoteur du Salon international du prêt-à-porter africain de Ouagadougou (SIPAO), les acteurs de la mode africaine ont les moyens de se lancer dans cette concurrence et d’innover pour répondre aux exigences du marché. Invité dans notre rédaction, il est revenu sur sa carrière et sur le bien-fondé du SIPAO dont l’édition 2021 débute à partir du 17 décembre prochain à Ouagadougou.
Infos Culture du Faso (ICF) : En tant que styliste, dites-nous comment est née votre passion pour la mode ?
MAVA : Comme beaucoup d’autres collègues du milieu qui sont venus par l’intermédiaire d’un proche, je dirais que cela été exactement la même chose pour moi. En réalité, je suis arrivé dans ce milieu par l’intermédiaire de mes parents qui étaient des couturiers. Et personnellement, je ne regrette pas, tout simplement parce que j’étais passionné à fond.
ICF : Parlez-nous de votre carrière. Êtes-vous satisfait après toutes ces années ?
MAVA : J’ai commencé très jeune à l’âge de 14, 15 ans. Puis après j’ai arrêté pour me consacrer à d’autres choses avant de finalement revenir pour toujours. A partir de là, je me suis rendu compte que j’appartiens à ce métier et que je ne pouvais plus échapper à ma vocation. C’est comme cela que j’ai continué jusqu’à ce que j’ouvre mon atelier dans les années 1986-88. Et à l’heure actuelle, je suis satisfait de mon parcours.
ICF : Votre parcours en termes de participation à des évènements de mode, que pouvez-vous nous en dire ?
MAVA : Tout comme tout autre styliste burkinabè, nous avons pris part à presque tous les mêmes évènements de mode. Je m’abstiendrai de les citer de peur d’en oublier. Mais, il est évident que tous ces évènements ont d’une manière ou d’une autre eu un impact significatif dans l’univers de la mode burkinabè.
ICF : Que pensez-vous de la mode de nos jours au Burkina Faso ?
MAVA : La mode a beaucoup évolué par rapport à des dizaines d’années en arrière. Il y a de plus en plus de créateurs avec d’immenses talents. Et le point positif dans tout cela est que les produits qu’ils proposent découlent généralement du textile africain. C’est-à-dire que nous avons commencé à adopter une mode propre à notre continent, notre identité. Et aujourd’hui, c’est toute la mode africaine qui sort gagnante.
ICF : Le secteur de la mode s’est beaucoup structuré aujourd’hui avec la création de faitières telle l’UPROTEX-HAC, quel est votre point de vue ?
MAVA : Aujourd’hui, nous assistons à la naissance d’associations de toutes sortes qui indéniablement contribuent à l’évolution des choses dans le milieu culturel de façon générale. Personnellement, c’est une chose que j’apprécie fortement. Au niveau de notre secteur, il y a des jeunes, des femmes et bien d’autres qui se sont regroupés en association pour faire avancer les choses dans le domaine de la mode et tout ce qui est produit fini. J’ai été à la tête de l’Union des professionnels du textile, de l’habillement et du coton (UPROTEX-HAC). Et j‘ai essayé comme je le pouvais d’aider cette structure à atteindre les objectifs escomptés. Ce que je retiens est qu’elle contribue et continue de contribuer à améliorer notre secteur pour le bien de la culture burkinabè.
ICF : Quels sont selon vous, les défis des créateurs burkinabè aujourd’hui ?
MAVA : Cette est une question pertinente. Car, les défis dans une activité comme la nôtre ne font pas défaut. Mais notre défi principal est le problème d’écoulement de nos articles. En tant que créateurs, nous ne nous pouvons pas jouer le double rôle de créateur et revendeur. Cela, selon moi, affecte l’intensité de notre travail. Il nous faut des conventions sinon des partenariats avec des revendeurs, commerciaux ou distributeurs. Autrement dit, le travail de styliste doit se faire en chaine en partant du modéliste jusqu’aux distributeurs. Et nous devons travailler à asseoir de vrais partenariats avec ces derniers. Non seulement cela augmenterait notre production mais également permettrait un meilleur écoulement de nos articles. A dire vrai, les choses commencent à changer. Aussi, nous devons faire du prêt-à-porter africain, un maillon du développement de notre mode, c’est de cette manière que nous pourrons concurrencer les articles extérieurs qui envahissent notre marché vestimentaire. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui m’a poussée à mettre en place le SIPAO.
ICF : Justement concernant le SIPAO, parlez-nous du contexte de sa naissance.
MAVA : il y a de cela plus de 20 ans je conseillais à mes collègues de ne plus orienter leurs productions sur le prêt-à-porter, soit 70% de prêt-à-porter et 30% de sur-mesure. Certains s’y sont mis et beaucoup d’autres ont émis des doutes quant aux risques de ne pas pouvoir écouler les articles. Je leur ai dit que s’ils y mettent de la passion et de la créativité dans leurs productions, il n’y a pas de raison que cela n’intéresse pas les consommateurs. Cette hésitation des uns et des autres m’a amené à réfléchir sur les moyens d’aider ces personnes-là à écouler les articles qu’ils auront créés. Aussi, une question m’est venue : comment réussir à concurrencer avec les articles vestimentaires en provenance de l’extérieur? C’est ainsi que l’idée m’est venue de mettre en place une vitrine où les créateurs pourront exposer leurs produits ; faire appel aux consommateurs pour venir les voir. C’est ce qui m’a incité à créer le Salon international du prêt-à-porter africain de Ouagadougou (SIPAO). C’est surtout un canal pour mettre en contact les créateurs et les consommateurs. Il s’agit également d’une manière de valoriser la mode africaine. Et le fait marquant est qu’après la 1ère édition, les attentes étaient satisfaisantes.
ICF : Après quatre éditions, quel a été l’impact du SIPAO sur la mode burkinabè et africaine ?
MAVA : De façon concrète en quatre ans d’existence, le nombre de créateurs participants et de visiteurs s’est beaucoup accru. Et cela est significatif pour moi en tant qu’initiateur de cette vitrine. Certains créateurs m’ont même dit que le SIPAO n’est plus seulement à moi mais plutôt à tous les créateurs. Et cela est vraiment touchant. Cela démontre une fois de plus encore qu’ils se sont approprié l’évènement et qu’il y a sûrement des retombées positives.
ICF : Que devrons-nous attendre de la 5e édition prévue du 17 au 30 décembre prochain ?
MAVA : A la base, le SIPAO est un salon de business en ce sens que le créateur vient exposer ses produits afin de les écouler mais aussi se créer des relations interprofessionnelles. Et cela autour d’un grand salon d’exposition-vente du prêt-à-porter. Pour cette 5e édition, il y aura plus d’une centaine de créateurs issus de l’espace UEMOA qui y prendront part. Sur le site, nous disposerons d’un podium durant tout le salon. Et les créateurs auront des défiles privés en plus de leurs stands afin de faire valoir leurs produits aux yeux des visiteurs. Et l’innovation majeure cette année, c’est l’installation d’un stand équipé de machines et mis à la disposition des créateurs en vue d’éventuelles retouches sur place de certaines tenues achetées. Nous envisageons également des sessions de formations sur les modules finition durant le salon. Mais, cela est toujours en phase de réflexion. J’aimerais toutefois préciser que le SIPAO est un salon africain. Et au vu de cela, les créations doivent comporter de la matière première africaine.
ICF : Quels conseils avez-vous à l’endroit des jeunes qui aimeraient emboîter vos pas ?
MAVA : Ils doivent d’abord savoir que la mode est un secteur d’avenir. Il y a beaucoup à y gagner. Mais, ils doivent s’assurer d’être passionnés, et surtout se lancer dans une perpétuelle recherche de perfection en ce sens qu’on ne finit jamais d’apprendre. En dépit du nombre d’années passées dans ce métier, nous continuons cependant d’apprendre. Aussi, ce métier comme tout autre demande de la patience. C’est de cette façon que le succès et la richesse suivront.
Interview réalisée par Boukari OUÉDRAOGO