jeu 25 avril 2024

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Sauvegarde du Patrimoine culturel: partie 2 de l’entretien avec Moctar SANFO, Directeur Général du patrimoine culturel

La sauvegarde du patrimoine culturel immatériel demeure un défi majeur pour la Direction générale du patrimoine culturel (DGPC). Le passage du premier responsable de cette Direction, Moctar SANFO, dans nos locaux a été l’occasion de passer en revue toutes les questions entrant dans la dynamique d’atteinte de ses objectifs. Et pour cette deuxième partie de notre entretien, ce sont entre autres les difficultés liées à la mise en œuvre de la feuille de route nationale de développement du patrimoine culturel, les perspectives de la direction, et bien d’autres questions qui ont été abordées. Lisez plutôt !

Infos Culture du Faso (ICF) : Depuis votre accession à la tête de cette Direction, quelles sont les difficultés rencontrées dans le processus d’accomplissement de vos missions ?

Moctar Sanfo (MS): comme toute autre institution publique, les difficultés sont surtout d’ordre financier. Nous n’avons pas suffisamment de moyens pour faire face aux besoins très importants d’aménagements et de viabilisation de notre potentiel patrimonial. Si l’on fait une analyse, on se rendra compte que les biens patrimoniaux ne sont pas en parfaite santé. En effet, il y’a des biens qui présentent des dégradations avancées, donc fortement menacées dû aux actions d’aménagement du territoire. Il y’a donc des sites qui sont fortement affectés ou expropriés pour des besoins d’installation d’infrastructures sociales ou économiques.

A cela, nous pouvons ajouter l’exploitation minière qui est une gangrène à la sauvegarde des biens culturels. L’avènement de l’exploitation minière quoiqu’on dise, constitue un facteur dégradant des biens culturels qui sont dans la nature ; cela entraine souvent des problèmes avec les communautés qui se plaignent d’avoir des lieux de cultes expropriés ou détruits.

De façon globale, cette situation est beaucoup plus liée à nos capacités limitées, chose qui ne nous permet pas d’être souvent en alerte afin d’apporter des solutions appropriées aux différentes menaces.

Aussi, nous avons des politiques, des référentiels très bien déclinés avec des actions très pertinentes. Cependant ces référentiels ont besoin d’être opérationnalisés. En effet, les questions patrimoniales relèvent de la souveraineté nationale. Bien qu’il y’ait des partenaires qui accompagnent l’action publique en faveur de la gestion du patrimoine culturel, on note de toute évidence que cela reste insuffisant. Évidemment, ceux qui sont les plus forts aujourd’hui sont ceux-là qui ont su mettre à profit leur culture au cœur du développement de leurs pays.

Quant au patrimoine immatériel, la question de l’insécurité, facteur direct du déplacement des populations, empêche la tenue de bien de manifestations culturelles, vu que la plupart d’entre elles sont liées au relief ou à la terre. C’est le cas également des biens immobiliers qui se trouvent dans des zones dites de conflits. On compte aussi des musées dans ces zones où la sécurité est préoccupante, toute chose qui rend difficile les actions de sauvegarde des collections qui s’y trouvent.

ICF: Que faut-il réellement pour endiguer ces problèmes afin de permettre à votre Direction d’atteindre un tant soit peu vos objectifs?

MS: Bien vrai que ce n’est pas facile, mais une bonne dotation du secteur, d’un budget conséquent permettra de résorber certaines de ces difficultés. Même si cela n’a pas été mentionné clairement dans les difficultés citées plus haut, il y’a le renforcement des capacités des acteurs qui interviennent dans ce secteur qu’il convient de prendre en compte. Je ne dirai pas que l’expertise manque à ces acteurs, mais un peu plus d’expertise renforcera leur bonne volonté, de sorte que les initiatives qu’ils entreprennent produisent des résultats probants.

La bonne structuration des acteurs pourrait également, à mon sens, contribuer à l’amélioration du rendement de la filière patrimoine. La structuration de la filière fait aussi appel à l’amélioration du cadre juridique et institutionnel. À ce propos, beaucoup d’actions sont déjà engagées. Un atelier pour accompagner le processus d’élaboration de la révision de la loi 024/AN de 2007 portant protection du patrimoine culturel au Burkina Faso s’est tenu. La suite des actions prévoit la révision de cette loi pour l’adapter au contexte actuel marqué par l’insécurité et l’internalisation des dispositions des conventions internationales sur le patrimoine culturel que le Burkina Faso a ratifié, à l’image de la convention de 1970, afin que certaines questions comme le trafic illicite des biens culturels et la protection des biens culturels en cas de conflit armé soient intégrées dans la législation nationale.

ICF: En termes de perspectives, quels pourraient être les projets à courts et moyens termes de la DGPC?

MS: Il faut dire que la DGPC a beaucoup à faire au regard de l’intensité et l’immensité de son programme annuel de travail. Actuellement, nous sommes en train de collecter des données sur le terrain pour la finalisation des monographies des Trésors Humains Vivants (THV) du Burkina Faso. Le système des THV est une initiative que le Burkina Faso a mis en place en 2013 pour accompagner les actions de sauvegarde et de transmission du patrimoine culturel immatériel. Ce système a permis en 2015 de proclamer 17 personnalités détentrices d’une importante richesse de la chose patrimoniale au rang de THV. Il est impérieux pour nous de travailler à valoriser leurs métiers et savoir-faire, ce pour quoi elles ont été proclamées.

Aussi, il y’a la documentation et le classement progressif des biens et éléments culturels sur la liste du patrimoine national. L’année dernière, nous avons soumis à validation à la Commission nationale de biens culturels et naturels, une liste de biens et d’éléments culturels. A l’issue de la session, 120 éléments du patrimoine culturel immatériels et 94 biens culturels immeubles ont été validés pour être classés sur la liste du patrimoine national. Un projet de texte est introduit dans le circuit du Conseil des Ministres pour approbation. Cette année, nous sommes toujours dans cette dynamique et incessamment, nous allons convoquer la session de la commission nationale des biens culturels et naturels pour examiner un certain nombre de dossiers de biens et d’éléments culturels à classer sur la liste du patrimoine national. Nous travaillons également à booster la fréquentation des sites patrimoniaux et des musées. Grâce à l’Etat burkinabè et au soutien technique et financier de l’UNESCO, nous conduisons actuellement une initiative qui permettra le renforcement des capacités des acteurs intervenant dans la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel sur l’ensemble du territoire national sur la période 2021 à 2022. Cette formation permettra de renforcer le vivier d’expertise nationale en matière de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. De façon pratique, il se tiendra une série de quatre sessions de formation de 110 personnes sélectionnées sur dossier à l’issue d’un appel à candidature. Ces sessions de formation permettront la sélection de 10 facilitateurs nationaux qui seront accompagnés par un expert international pour la formation de 225 autres acteurs venant des 45 provinces du Burkina Faso.

Au regard du contexte sécuritaire, nous travaillons de concert avec le Secrétariat Permanent de la Commission Interministérielle des Droits Humains et du Droit International Humanitaire (SP/CIMDH) pour la mise en œuvre d’un projet de sauvegarde en temps de paix, des biens culturels à protéger en cas de conflits armés. Ce projet dont la mise en œuvre s’étale sur deux années, soit 2020 à 2022, permettra au Burkina Faso d’engager des actions de sensibilisation à l’endroit d’acteurs majeurs, l’élaboration d’une loi spécifique sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé et l’élaboration d’un dossier d’inscription de 11 biens culturels sur la liste de protection renforcée de la convention de 1954 de l’UNESCO. C’est un autre mécanisme qui renforce la protection des biens culturels au niveau national. Et la destruction d’un bien inscrit sur cette liste est qualifiée de crime contre l’humanité par les Nations Unies.

La DGPC entreprend des initiatives pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel notamment les pratiques et les expressions culturelles liées au balafon des communautés sénoufo, un élément culturel inscrit sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO en 2012. Il s’agira plus précisément de l’organisation prochaine de journées promotionnelles dudit élément, dont l’importance transcende aujourd’hui des frontières, à Bobo-Dioulasso dans la région des Hauts-Bassins. Cela permettra de pallier le manque de mécanisme de promotion et de valorisation de cet élément qui joue un rôle primordial au sein des communautés ethnoculturelles du Burkina Faso.

ICF: Nous sommes pratiquement à la fin de notre entretien, quel est votre dernier mot ?

MS: Je voudrais vous dire merci pour tout ce que vous faites en faveur de la promotion de la culture de manière générale, et la DGPC en particulier. Mon souhait est que vous puissiez toujours grandir afin de continuer de nous accompagner dans nos actions. Pour finir, je dirais que nous sommes des sentinelles du patrimoine culturel, et nous ne dormons pas surtout quand il s’agit des questions en lien avec la sauvegarde du patrimoine culturel.

 

Interview réalisée par Boukari OUÉDRAOGO

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